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parut bientôt si naturelle à l’esprit des Américains, qu’en 1842 le commodore Jones, chef de leur escadre dans le Pacifique, n’imagina rien de mieux que de hisser, sans autre forme de procès, le pavillon de l’Union à Monterey, alors le principal port de la côte. En même temps des proclamations affichées dans la ville annoncèrent aux habitans qu’ils étaient devenus citoyens de la grande république. La paix qui régnait entre les cabinets de Washington et de Mexico rendait difficile l’explication de cette conduite, au moins étrange ; heureusement la nuit porta conseil, et le lendemain le commodore restituait au gouverneur dépossédé l’autorité qu’il lui avait si sommairement enlevée. Ce sont façons de parler turques, disait Covielle au bourgeois gentilhomme : ce sont façons d’agir américaines, eût-on pu dire ici ; mais la poire n’était pas encore mûre, et, bien qu’elle fût destinée à être cueillie sans beaucoup plus de cérémonie que n’en voulait mettre le commodore, l’occasion désirée se fit attendre encore quelques années. Elle se présenta en 1846. Les convois d’émigrans se dirigeaient alors vers les bords du Pacifique en plus grand nombre qu’ils ne l’avaient encore fait ; préoccupé de leur sort et désirant leur tracer la route la plus avantageuse, le gouvernement des États-Unis avait fait explorer les diverses passes des Montagnes-Rocheuses par un détachement dont le commandement était confié au capitaine Fremont. Cet officier, que les circonstances allaient investir d’un rôle important, n’était encore connu que par les romanesques détails de son origine ; du reste, bien que de sang français, il résumait à un degré remarquable toutes les aventureuses qualités de sa race adoptive, et méritait d’être, ce qu’il fut en effet, le premier conquérant de la Californie. Hardi jusqu’à la témérité, ayant aussi peu de souci des obstacles que peu de scrupules sur les moyens, il allait commencer cette carrière si féconde en incidens qui devait le désigner plus tard au choix du parti républicain pour la candidature à la présidence de l’Union. Il faut dire qu’à cette époque les autorités espagnoles du pays s’inquiétaient sérieusement du chiffre sans cesse croissant de la population américaine, et avaient trahi leurs craintes par quelques mesures de précaution, dont le résultat avait été de faire naître une sourde irritation entre les deux partis. Fremont, à peine arrivé, se sentit en butte à une surveillance soupçonneuse ; c’en fut assez pour lui faire interpréter défavorablement les actions les plus simples, et le général Castro, commandant militaire, ayant donné l’ordre de réunir quelques chevaux, le capitaine américain vit ou voulut voir dans cette mesure une intention d’hostilité qu’il résolut de prévenir en déclarant lui-même la guerre à la Californie ; son armée se composait de soixante-deux hommes !

La promptitude de ses déterminations pouvait seule compenser