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la poule aux œufs d’or n’aurait reçu une plus complète réalisation.

Le Mexique recueillit donc peu de fruits de ses violences, tant à cause de l’éloignement d’un territoire qu’il était hors d’état de peupler que par suite des circonstances critiques où n’allait pas tarder à le placer le voisinage des Américains. La tendance de ces derniers vers la Californie était de plus en plus manifeste ; du temps même des missionnaires, on y avait vu paraître à plusieurs reprises non-seulement les infatigables trappeurs des diverses compagnies de fourrures, mais de véritables colons venus des états de l’est, avant-coureurs significatifs d’un envahissement prochain. En 1845, le mouvement était dessiné, le courant d’immigration établi, et bientôt la population ainsi amenée dans le pays se trouva assez forte pour renoncer à des feintes inutiles et commencer ouvertement l’œuvre de conquête. On a souvent comparé le progrès territorial des Américains à la tache d’huile qui s’étend insensiblement, et finit par couvrir l’étoffe sur laquelle elle est tombée ; en un certain sens, cette image manque de justesse, et pour la Californie par exemple il est certain que le Yankee venait déboucher sur le Pacifique sans beaucoup se préoccuper de coloniser les vastes plaines qu’il avait traversées pour y arriver. Il est telle nation qui, enfermée dans d’inflexibles limites naturelles, est condamnée à se débarrasser incessamment de l’excédant de population qu’un sol surchargé d’habitans ne lui permettrait pas de nourrir ; pour elle, la colonisation est un besoin : c’est le cas de l’Angleterre. Pour d’autres peuples, elle est au contraire un instinct : l’Américain est de ce nombre. Si rapide que soit l’accroissement de l’Union, on ne peut prétendre qu’elle en soit venue à posséder un trop plein de population, et l’espace n’est certes pas ce qui lui manque ; pourtant son seul rêve est d’agrandir cet empire, déjà trop vaste peut-être. À l’intérieur, des terres fertiles attendront de longues années encore le travailleur qui doit les défricher ; c’est aux frontières qu’est le mouvement, là est la ligne qu’il faut reculer sans cesse. Qui n’a eu l’occasion d’étudier dans nos campagnes les bizarres allures de la chèvre attachée dans un pré ? Négligeant l’herbe qui entoure son piquet, elle ira invariablement chercher sa nourriture à l’extrémité de la corde, que raidissent tous ses efforts. C’est l’histoire de l’Américain vis-à-vis du Mexique. À ce propos, j’ai tout à l’heure prononcé le mot de conquête ; il n’est pas nécessaire d’être bien familier avec l’histoire des États-Unis pour savoir qu’ils ont en pareille matière diverses façons de procéder : on en trouve une nouvelle preuve dans les événemens qui signalèrent la prise de possession de la Californie.

La convoitise yankee s’était déclarée de bonne heure. Dès 1837, on avait vu des sociétés se former dans les états de l’est pour encourager l’émigration californienne, et l’idée de s’emparer du pays