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Peyri, fondateur de la mission de Saint-Louis, réfugié en Espagne après la sécularisation des biens religieux de la Californie. — On dit qu’il est mort, répondit l’étranger. — No, señor, reprit l’Indien, este padre no muere (ce père-là ne meurt pas).

Jusqu’en 1824, les missions de Californie ne firent que s’accroître. Parvenues au nombre de vingt et une, chacune d’elles nourrissait en moyenne plus de dix mille têtes de bétail et en exportait les cuirs, dont la vente permettait d’ajouter au bien-être des indigènes, car jamais les pères ne s’étaient considérés comme maîtres du sol, mais uniquement comme les tuteurs de ses propriétaires naturels. Pater est tutor ad bona Indiorum, telle était leur touchante maxime. Toutefois cet état de choses ne pouvait plus guère durer ; le Mexique, possesseur au moins nominal de la Californie, venait de proclamer son indépendance, pour entrer dans cette période d’anarchie basse et sanglante dont la fin semble encore si éloignée ; ses finances étaient déjà dans le délabrement où nous les voyons aujourd’hui, et l’on conçoit que sa convoitise fût éveillée par la florissante situation des propriétés régies par les pères franciscains. La proie était d’autant plus séduisante qu’outre les richesses de leur territoire, les missions possédaient au Mexique, soit en numéraire, soit en immeubles, des valeurs considérables provenant de legs ou de fondations diverses, et connues sous le nom de fonds pieux de Californie. On recula cependant quelques années devant cette sécularisation d’autant plus inique que le but ne s’en pouvait déguiser. Bien plus, après l’avoir déclarée deux fois, en 1824 et en 1833, on dut revenir sur la mesure ; mais le coup était porté, et peu après la dernière de ces dates la spoliation, qui n’avait pu s’opérer en bloc, s’exécuta en détail. Ce fut un pillage sans frein, dont, ainsi qu’il arrive souvent en pareil cas, le gouvernement profita moins que tout autre, car à peine l’éloignement lui permit-il de recueillir quelques maigres épaves, tandis que sur les lieux chacun faisait largement sa part. On s’aperçut bientôt du changement de possesseurs : la récolte de blé, qui en 1834 était encore de 70,000 hectolitres, n’était plus que de 4,000 huit ans après, et dans le même intervalle 424,000 têtes de bétail étaient réduites à 28,000[1] ; le reste à l’avenant. Aujourd’hui les vastes édifices des missions sont abandonnés et tombent en ruines ; l’herbe y croît dans les cours jadis si vivantes, et les églises dégradées voient s’effondrer leurs murs, qu’envahissent en liberté le chèvrefeuille et la clématite sauvages. Quant aux Indiens, presque tous ont déserté les villages pour retourner aux habitudes de leur vie errante, et si une nouvelle race d’une énergie supérieure n’était venue s’implanter dans le pays, jamais la fable de

  1. Exploration de l’Orégon, par M, Duflot de Mofras.