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peine nourris par les produits de leur chasse et de leur pêche, ignorant jusqu’à l’usage des vêtemens les plus primitifs, on peut dire avec vérité qu’ils vivaient misérablement sous l’un des plus beaux de nos climats tempérés. Peu d’années suffirent aux missionnaires pour faire subir une métamorphose complète à des prosélytes dont le nombre se compta d’abord par centaines, puis promptement par milliers. Il est inutile de dire que ce n’était pas à la seule prédication du dogme que les franciscains devaient ces rapides conquêtes : prenant pour modèles leurs prédécesseurs, les jésuites et les dominicains de la Basse-Californie, ils commençaient par faire matériellement comprendre à leurs grossiers élèves les avantages de la vie dont eux-mêmes offraient l’exemple. On les voyait manier tour à tour la bêche, la hache, la truelle, le marteau, et enseigner pratiquement à leurs néophytes émerveillés les premiers élémens des arts nécessaires à l’existence nouvelle dont l’exercice du culte devenait ainsi pour eux le symbole. Les édifices spécialement destinés aux missions s’élevèrent donc rapidement sur différens points du pays ; non loin d’eux se groupèrent les pueblos, villes ou villages selon le cas, où se concentra bientôt la population devenue sédentaire, en même temps que des forts, ou presidios, destinés à protéger l’établissement naissant contre les tribus demeurées hostiles, achevaient de donner à cette remarquable colonisation son triple caractère religieux, civil et militaire.

Le sol était d’une incomparable fertilité ; ce n’était pas la sauvage et luxuriante végétation des tropiques, si souvent nuisible dans ses envahissemens désordonnés, mais d’immenses plaines dont les gras pâturages appelaient les troupeaux de tout genre, et de riches vallées bien arrosées, qui promettaient en abondance les productions variées d’un climat d’élite. Aussi chaque mission ne tarda-t-elle pas à se développer au-delà de toutes les espérances. L’emploi du temps y était uniformément réglé, de manière à partager la journée entre un travail modéré et productif, des récréations qui toujours avaient un but utile, et les enseignemens d’une religion dont la pompe convenait singulièrement à la nature d’esprit des Indiens. C’était la vie patriarcale dans toute sa grandeur et sa simplicité, et l’on craindrait d’être taxé d’exagération en montrant cette sorte de résurrection de l’âge d’or se prolongeant jusque dans la première moitié de notre XIXe siècle, si le témoignage des Indiens eux-mêmes n’était encore là pour confirmer la vérité des descriptions qui en ont été laissées. Bien qu’aujourd’hui, depuis près de vingt ans, les derniers missionnaires aient été forcés d’abandonner le pays, leurs noms sont encore aimés et respectés des indigènes comme au temps de leur prospérité, et c’est ainsi que l’un de ces derniers demandait à un voyageur des nouvelles du père Antonio