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ceux qui adorent l’idée et non l’idole n’éprouvent point tant de défaillances et de découragemens. La vérité morale ne trompe jamais. « Ce que j’ai aimé, dit M. Quinet, je l’ai trouvé chaque jour plus aimable. Chaque jour la justice m’a paru plus sainte, la liberté plus belle, la parole plus sacrée, l’art plus réel, la réalité plus artiste, la poésie plus vraie, la vérité plus poétique, la nature plus divine, le divin plus naturel. » S’il reste encore des obscurités et des doutes, si toutes les contradictions ne sont pas résolues, ce n’est pas la vérité, c’est le temps qu’il faut accuser. Les rayons lumineux n’ont pas encore pu tous descendre du sommet inaccessible où vit la vérité, pas plus que les rayons de toutes les étoiles n’ont pu encore frapper la terre depuis la création ; cependant il en est assez descendu pour que l’âme humaine ne puisse douter de la lumière, et cette certitude suffit.

Ainsi raisonne M. Quinet dans la préface de ce livre, miroir d’une âme en paix avec elle-même, sans exigences envers la nature et la destinée, heureuse de voir les fatales lois du monde s’accomplir même contre elle, les tenant pour infaillibles et excellentes, quelques douleurs qu’elles lui fassent subir. Cette sérénité radieuse, récompense des âmes vraiment philosophiques, est rare en tout temps, mais elle mérite d’être remarquée surtout dans un temps distingué comme le nôtre par l’impatience et l’inquiétude. Qui de nous sait se soumettre sans murmurer aux lois de la nature ? Qui de nous consent à les trouver excellentes, si elles s’accomplissent contre nos intérêts ? Qui de nous a le cœur assez pieux pour se courber religieusement devant la fatalité et pour lui dire : Que votre volonté s’accomplisse ? Même lorsqu’elle nous a meurtris et brisés, nous regimbons contre elle, et du plus profond du gouffre où elle nous a jetés, nous lui demandons un miracle pour nous sauver. Nous nous débattons contre la superstition, et nous sommes plus superstitieux qu’un moine du moyen âge, car aucun de nous ne veut croire que la nature ait le droit d’exécuter contre lui ses arrêts immuables. Aucun de nous ne veut croire que la terre doit tourner, que les saisons doivent se succéder. M. Quinet fait une exception éclatante au milieu de nos fiévreuses générations : non-seulement il admet que les lois du monde doivent s’exécuter même contre lui, mais il le trouve excellent ; non-seulement il est également reconnaissant envers la destinée des joies et des douleurs qu’elle lui a données, mais il ne lui demande rien de plus pour le soir de sa vie, aucune consolation nouvelle, aucun nouveau motif d’espérance. Encore une fois, cela n’est pas commun.

L’autobiographie de M. Quinet est incomplète malheureusement, et s’arrête à l’entrée de la jeunesse ; mais elle nous permet de saisir