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l’on va au fond des choses, on reconnaît bientôt que cet avantage n’est qu’apparent. Est-ce que l’acheteur ne fera pas entrer en ligne de compte les avances que nécessiteront pour lui le défrichement et les travaux d’amélioration ? Il exigera donc beaucoup de terre pour peu d’argent, car autrement où serait pour lui le bénéfice, et pourquoi se dessaisirait-il d’un capital qui deviendrait immédiatement productif entre les mains de la commune ? Il n’est pas possible d’admettre qu’il n’y aura point, dans ce cas, équivalence entre la chose et le prix. Voilà donc tous les biens de la commune convertis en 3 ou 4 1/2 pour 100 ! A partir de ce moment, la commune subira les chances de hausse et de baisse de la rente, si rapides et si diverses. Ce capital augmenterait-il jamais ? Non, car les valeurs métalliques ont marché vers une constante dépréciation. En revanche, depuis cinquante ans, la propriété foncière a presque doublé de valeur. De là il faut conclure, avec M. Cauchy, que la vente des biens des communes aboutirait en définitive à mettre de leur côté, au lieu d’une espérance d’accroissement, une chance de diminution plus ou moins éloignée, mais certaine.

Reste l’amodiation des biens au profit de la commune. Ce système a généralement prévalu dans les conseils-généraux[1]. Il a en effet le grand avantage de ne pas dépouiller irrévocablement la commune ; les biens restent dans son patrimoine, et un jour, après un ou deux baux peut-être, elle en reprendra la libre possession ; au lieu d’un maigre pâturage, elle retrouvera de bonnes terres de labour ; au lieu des ajoncs de la lande, des fourrages et du grain. Un long bail et la perspective de quelques bénéfices pour les dernières années auront amené cet heureux résultat sans violence et sans conflit. C’est vers ce but, disons-nous, que convergent la plupart des vœux des conseils-généraux, qui veulent avec raison qu’on laisse à l’autorité locale le choix des moyens d’amélioration que le sol et la contrée réclament. On ne saurait, à notre avis, faire un meilleur usage de la décentralisation administrative qu’en cette matière : nul ne sait mieux que le paysan le genre de produits qu’il faut demander à sa terre. Les communes nous paraissent être dans la même situation relativement à leurs biens. Une seule difficulté se présente ; elle est sérieuse, car elle touche à la constitution communale : on suppose la résistance du conseil municipal, et l’on se demande si l’autorité

  1. En 1843, consultés par le gouvernement sur le meilleur emploi à faire des biens communaux, 66 conseils-généraux répondirent aux questions qui leur étaient soumises : 24 furent d’avis que les communaux devaient être affermés, 15 demandèrent la vente, et 5 seulement le partage entre les habitans ; mais, depuis cette époque, la très grande majorité des conseils-généraux s’est formellement prononcée pour l’amodiation au profit de la commune.