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les habitans. Elle vit dans la commune l’image agrandie de la famille, et elle en fit le pivot de l’édifice politique. La première loi d’organisation qui parut fut celle de la commune, car, au milieu des troubles qui agitaient le pays, la pensée de l’assemblée constituante s’était portée spontanément sur les administrations locales. « Qu’on organise des municipalités, avait dit Mirabeau, c’est le plus utile élément d’une bonne constitution, la sécurité de tous les foyers, le seul moyen possible d’intéresser le peuple entier au gouvernement et de réserver les droits autour des individus. » Une question préoccupa vivement l’assemblée ; elle est du nombre de celles qui furent alors tranchées avec une si grande netteté de vues : il s’agissait de déterminer la part d’indépendance qui serait faite aux communes dans leur administration intérieure. Les uns réclamaient pour elles une liberté complète ; elles se gouverneraient à leur gré, comme ces petits états de l’Amérique auxquels on ne demande que d’être républicains et de faire partie de la confédération. Ce fut d’abord la pensée de Mirabeau. D’autres, sans méconnaître l’esprit d’indépendance qui devait animer ces réunions locales, et qui était dans l’essence de leur constitution, voulaient cependant les rattacher à l’administration générale de l’état, ne fût-ce que par le lien d’une simple surveillance à l’endroit des actes municipaux. Il fallait concilier le principe de l’indépendance communale avec celui de la souveraineté de l’état. Jusqu’où pouvait aller cette indépendance ? Que les individus, que les familles veillent à leurs intérêts comme ils l’entendent, qu’ils les compromettent même par une mauvaise gestion, personne n’a rien à y voir ; ils trouvent dans la ruine une leçon et un châtiment. En cela, les communes diffèrent des individus ; leur liberté ne saurait aller jusqu’à l’épuisement de leurs ressources, jusqu’à l’anéantissement de leur vitalité. Le caractère particulier des communes, c’est de n’avoir ni commencement ni fin ; selon l’ingénieuse comparaison d’un écrivain anglais, c’est ainsi que la Tamise, dont les eaux se succèdent à chaque instant, ne cesse pas d’être la Tamise. Les communes intéressent autant l’avenir que le présent, autant la génération future que la génération actuelle. Du moment donc où il s’agit d’actes qui touchent à leur avenir, l’intérêt général est en jeu, le contrôle de l’état se justifie et doit commencer.

Telle fut la règle posée en cette matière par l’assemblée constituante, qui n’adopta ni la décentralisation du municipe romain et de la commune jurée, ni la centralisation extrême de la féodalité et de la monarchie absolue. « La municipalité, dit Thouret, est, par rapport à l’état, précisément ce que la famille est par rapport à la municipalité dont elle fait partie. Chacune a des intérêts, des droits et des moyens qui lui sont propres ; chacune entretient, soigne, embellit