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commune, et comprenant les terres arables, les bois, les pâturages, les eaux et les chemins, demeurait indivis. La jouissance en était commune, et réglée par l’autorité locale, c’est-à-dire par les habitans. a Il n’est pas nécessaire, dit M. Dareste, d’insister sur la frappante analogie de la commune ou tribu germanique du Ve siècle avec la commune ou tribu gauloise des siècles plus anciens. Elles reposent toutes deux sur le même principe ; elles appartiennent au même état social et au même degré de développement agricole[1]. » Lors donc que le peuple barbare se fut superposé au peuple gallo-romain, il ne resta guère de possessions libres et vacantes entre les domaines des chefs militaires, ceux des communes et ceux du chef de l’état. La Gaule romaine n’avait-elle pas déjà ses villes, ses campagnes, ses routes, son agriculture et son commerce ? Chaque jour la lumière se fait sur ces époques lointaines et nous oblige à reculer un peu plus loin les impénétrables forêts ou les déserts dont notre imagination, en l’absence de données précises, tend tout d’abord à les doter. Sur quoi donc s’exercera l’empiétement féodal ? C’est principalement (on l’a très bien établi) sur le domaine municipal, qui est cerné d’un côté par le clergé, de l’autre par la noblesse, à ce point qu’il n’en reste plus rien ou presque rien vers le XIe siècle. Alors, plus riche en terre qu’en bras, la féodalité fit des concessions, accorda des droits d’usage dans les forêts et dans les pâturages ; mais on voit à quoi se réduit le mérite de la concession, si elle a lieu sur d’anciens domaines municipaux, si, après avoir détruit l’agrégation qui possédait, dispersé ses chefs, réduit ses habitans à la servitude, l’évêque ou le seigneuries a divisés en hameaux ou en bourgades plus faciles à dominer.

Quant aux concessions des monastères, ne venaient-elles pas elles-mêmes après une première usurpation ? Que la condition fût meilleure dans le ressort du monastère, nul n’en doute ; que les moines et leurs serfs aient contribué au développement de l’agriculture, c’est un fait incontestable ; mais en conscience, quand l’abbaye concédait des terres ou un pâturage, n’était-ce pas le bien de César qui retournait à César ? « Les monastères, observe lui-même M. Rivière, avaient aussi contribué à absorber les biens communaux en enlevant aux communautés d’habitans les biens-hermes (vacans) que leur concédait la munificence des rois, des seigneurs ou des évêques ; mais certes jamais occupation, jamais appropriation ne fut plus légitime. Les moines ont été en Europe les pionniers de l’agriculture et de la civilisation ; ils ont créé des bourgs et des villages innombrables dans lesquels on jouissait de plus de bien-être et de liberté

  1. Histoire des Classes agricoles en France, p. 89 et 91.