Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour eux, les grandes et les petites cités découlaient de la munificence des seigneurs comme de leur source naturelle. Cette opinion des feudistes, bien qu’ébranlée par les édits de Louis XIII et de Louis XIV, avait toutefois prévalu en doctrine, et jusqu’au XVIIIe siècle il était peu d’écrivains qui ne l’eussent recueillie dans les œuvres de Dumoulin, de Loyseau, de Daguesseau lui-même. De nos jours, elle avait encore ses adeptes, bien qu’elle s’affaiblît de plus en plus. Ces dernières fouilles de l’histoire dans les couches aujourd’hui profondément ensevelies de la féodalité ont amené de précieux vestiges dont la science fera désormais son profit.

Mais ces recherches, les a-t-on poussées assez loin pour les communautés villageoises, pour les communes rurales ? On nous permettra d’en douter. Il y a incontestablement quelque chose de neuf et de séduisant dans cette distinction entre les grandes et les petites communes. On comprend aisément la formation de ces petites associations autour d’un monastère, d’une église ou d’un château-fort. De vastes solitudes s’étendent au loin ; pour ceux qui les possèdent, elles n’ont nulle valeur ; le travail seul peut les rendre fertiles. On appelle donc des paysans, des ilotes, des gens déclassés ou désœuvrés, tout ce qui languit, tout ce qui souffre et végète dans la société féodale. Des colonies s’organisent, des cabanes se rapprochent, des intérêts collectifs surgissent ; bientôt s’élèvera le dôme de la chapelle. De là la commune, de là la paroisse, qui souvent ne formèrent qu’une seule et même chose, qu’une seule et même administration, répondant aux besoins civils et aux besoins religieux des habitans. Tout cela, disons-nous, saisit la vue et l’esprit : on l’accepte sans peine ; mais en examinant les choses de plus près, on voit qu’il s’élève, même pour les terres ainsi concédées, une grave question d’origine. La féodalité n’a pas commencé aussitôt après l’invasion germaine ; elle n’est arrivée que quelques siècles plus tard[1]. Or, après la conquête, il se fit entre les Germains eux-mêmes un partage de terres qui demeura la loi de l’avenir. Les écrivains qui ont porté leurs recherches de ce côté ont été généralement amenés à reconnaître qu’aussitôt s’était reconstituée la commune. C’est le sentiment qu’exprime M. Dareste dans son Histoire des Classes agricoles en France. On assigna des espaces déterminés pour la fondation des villages ou des communes là où il parut nécessaire d’en établir. Des lots étaient attribués à chacun par le sort et étaient affectés à titre de propriété héréditaire : on les désignait sous le nom de sortes ; mais cette propriété ne comprenait en général qu’une maison avec un jardin à l’entour. Le reste du terrain assigné à la

  1. Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XXX, chap. 14.