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la plupart des conseils-généraux n’ont envisagé que la question d’utilité pratique et d’économie agricole. Ce n’est là qu’un aspect des choses, et ce n’est même ni le plus large ni le plus digne d’intérêt. Les biens communaux ont un passé qui oblige la génération qui les possède, et celle-ci en répond envers la génération à venir ; ils ont une histoire qui est celle de nos franchises municipales, et qu’il faut se garder de dédaigner, car elle est pleine d’enseignemens. On ne se rappelle pas assez ce qu’il en a coûté à nos aïeux pour conserver ces héritages, et avec eux la liberté.

Avant de rechercher de quelle manière pourrait être résolue la question économique d’amélioration des propriétés communales, il est indispensable de se former une idée précise du droit de la commune et de déterminer nettement l’origine des biens qui composent son patrimoine.


I

Qu’est-ce donc que le droit de propriété de la commune ? Ce droit n’est-il autre que celui d’un établissement public que la loi érige ou détruit à sa volonté, en vue d’un service public qu’elle délègue ou reprend, selon les temps et les lieux ? Où bien se rapproche-t-il par sa nature du droit absolu de propriété des particuliers ? en a-t-il l’étendue et l’énergie ?

On comprend sans peine l’alternative que ces propositions renferment : ou l’état n’a en face de lui qu’un établissement dont la situation, dont la vie lui appartient, et qu’il peut soumettre dans l’administration de ses biens à tel ou tel régime, par des mesures directes ou indirectes, ou bien, reconnaissant à la commune un droit préexistant supérieur au sien même, il doit le surveiller sans l’entamer, le protéger et non l’anéantir. Ainsi posée, la question touche de si près à celle de l’origine de la commune, qu’on pourrait facilement les confondre, et ce qui témoigne encore mieux de cette connexité, c’est que l’une ne peut être résolue sans l’autre. Avant tout, il faut s’entendre sur la formation de la commune. Dans la session de 1829, en présentant à la chambre des députés un projet de loi sur l’administration municipale, M. de Martignac disait : « Les agglomérations d’individus, de familles, liées par les traditions de plusieurs siècles, par des habitudes non interrompues, par des propriétés communes, par des charges solidaires, par tout ce qui forme les associations naturelles, ne peuvent être détruites ni ébranlées. La commune dans son existence matérielle n’est point une création de la puissance ; elle n’est pas comme les départemens une fiction de la loi ; elle a dû précéder la loi ; elle est niée comme une conséquence