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ELLE ET LUI.

pour le troisième jour, c’est afin de me faire rencontrer chez elle un Anglais ou un Américain que je ne connais pas ! Mais elle le connaît certainement, elle, ce Palmer qu’elle appelle par son petit nom ! D’où vient alors qu’il m’a demandé son adresse ? Est-ce une feinte ? Pourquoi feindrait-il avec moi ? Je ne suis pas l’amant de Thérèse, je n’ai aucun droit sur elle !

L’amant de Thérèse ! je ne le serai certainement jamais. Dieu m’en préserve ! une femme qui a cinq ans de plus que moi, peut-être davantage ! Qui sait l’âge d’une femme, et de celle-là précisément dont personne ne sait rien ? Un passé si mystérieux doit couvrir quelque énorme sottise, peut-être une honte bien conditionnée. Et avec cela, elle est prude, ou dévote, ou philosophe, qui peut savoir ? Elle parle de tout avec une impartialité, ou une tolérance, ou un détachement… Sait-on ce qu’elle croit, ce qu’elle ne croit pas, ce qu’elle fait, ce qu’elle veut, ce qu’elle aime, et si seulement elle est capable d’aimer ?

Mercourt, un jeune critique, ami de Laurent, entra chez lui. Je sais, lui dit-il, que vous partez pour Montmorency. Aussi je ne fais qu’entrer et sortir pour vous demander une adresse, celle de Mlle Jacques.

Laurent tressaillit. — Et que diable voulez-vous à Mlle Jacques ? répondit-il en faisant semblant de chercher du papier pour rouler une cigarette.

— Moi ? rien… c’est-à-dire si ! Je voudrais bien la connaître, mais je ne la connais que de vue et de réputation. C’est pour une personne qui veut se faire peindre que je demande son adresse.

— Vous la connaissez de vue, Mlle Jacques ?

— Parbleu ! elle est tout à fait célèbre à présent, et qui ne l’a remarquée ? Elle est faite pour cela !

— Vous trouvez ?

— Eh bien ! et vous ?

— Moi ? Je n’en sais rien. Je l’aime beaucoup, je ne suis pas compétent.

— Vous l’aimez beaucoup ?

— Oui, vous voyez, je le dis, ce qui est la preuve que je ne lui fais pas la cour.

— Vous la voyez souvent ?

— Quelquefois.

— Alors vous êtes son ami… sérieux ?

— Eh bien ! oui, un peu : pourquoi riez-vous ?

— Parce que je n’en crois rien ; à vingt-quatre ans, on n’est pas l’ami sérieux d’une femme… jeune et belle !

— Bah ! elle n’est ni si jeune ni si belle que vous dites. C’est un