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des finances en désordre, et des ports où l’ennemi laissait à peine pénétrer quelques vaisseaux pour annoncer à la métropole de grands désastres subis aux extrémités du monde. Enfin, si la haine de Pitt continuait d’animer l’Angleterre, lord Bute, arrivé aux affaires avec toute la confiance d’un nouveau roi, avait le désir d’assurer à sa patrie et à lui-même le bénéfice des grandes choses accomplies par d’autres.

L’Europe gravitait donc vers la paix, et ces irrésistibles tendances y préparaient jusqu’aux plus récalcitrantes volontés. Marie-Thérèse se prêta, vers la fin de 1762, à traiter avec moins d’hésitation qu’il ne semblait naturel de le craindre, et M. de Choiseul lui-même, sous la pression du sentiment public, avait devancé l’impératrice en ouvrant une négociation directe avec l’Angleterre. Il venait de conduire à bon terme une autre négociation importante dont l’issue avait vivement ému la France et l’Europe ; fort préoccupé de s’assurer la faveur de l’opinion, ce ministre comprit qu’un succès, même remporté ailleurs, rendrait moins inacceptables au pays les conditions nécessairement humiliantes de la paix maritime et continentale. À la vue de nos malheurs, le pacte de famille[1] était sorti du cœur généreux de Charles III comme la voix du sang de saint Louis protestant contre l’abaissement de la France. Ce traité constatait sans doute une situation déjà existante plutôt qu’il ne la fondait. Seule en effet depuis un demi-siècle, la France avait établi la maison de Bourbon à Madrid, à Naples, à Parme ; seule elle était en mesure de protéger cette maison en Italie contre l’Autriche, en Espagne contre l’Angleterre, toujours menaçante pour les colonies transatlantiques. L’intimité de l’alliance résultait donc d’intérêts communs et permanens, et quoique cette alliance ait été sous certains rapports fort préjudiciable aux rois catholiques, elle était pour ces princes le gage même de leur sûreté. Néanmoins un tel pacte offensif et défensif conclu à perpétuité apparut dans le monde diplomatique comme un fait nouveau et considérable. M. de Choiseul en recueillit un grand honneur, et au lendemain de la signature il se sentit assez fort pour oser conclure une paix honteuse, mais nécessaire. On sait trop ce que fut le traité de 1763[2]. Après une guerre où la France avait sacrifié deux cent mille hommes afin d’agrandir la princesse qu’elle s’était efforcée si longtemps de dépouiller, elle vit son nom biffé de la carte des Indes et du continent américain, n’ayant remporté aucun avantagé sur la Prusse, son ennemie, malheureusement pour son honneur, mais heureusement

  1. 15 août 1761.
  2. Traité de paix du 10 février 1763.