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l’empire, subordonner la France à l’Autriche sans autre profit que des flatteries pour Mme de Pompadour, cela ressemblait à un véritable rêve, et l’accomplissement n’en fut possible que par l’infatuation progressive d’une femmelette dont l’unique souci était de relever sa position par la grandeur des questions et l’importance des intérêts débattus. La raideur et la complaisance sont pour les parvenus deux écueils également à craindre ; mais une femme vaniteuse et légère n’avait à redouter que le second. Sitôt que l’impératrice eut pris sur elle détendre la main à Mme de Pompadour, celle-ci fut à ses pieds.

Ce n’est ni sur les pamphlets de Favier, ni sur les écrits plus calmes du comte de Broglie qu’il faut juger le célèbre traité de Versailles. Le ministère occulte que Louis XV consultait dans l’ombre, comme pour se consoler par le triste plaisir de blâmer son conseil de l’empressement qu’il mettait à lui céder, ne pouvait demeurer dans les termes de la justice en présence d’actes que sa mission même le provoquait à combattre. Les auteurs de la correspondance secrète ont donc dépassé la mesure du vrai en dénonçant comme un crime d’état et comme une trahison envers la France la pensée même d’une alliance avec l’Autriche. Lorsque l’abbé (bientôt après cardinal) de Bernis fut chargé par Mme de Pompadour de mettre à profit les dispositions de l’auguste correspondante qui voulait bien se dire son amie, quand ce ministre négocia avec le comte de Stahremberg, successeur du comte de Kaunitz à l’ambassade de Paris, les bases du traité de Versailles[1], l’attitude hostile prise par l’Angleterre donnait une importance véritable à cette convention. Au moment où, sans aucun motif de rupture et sans déclaration de guerre, la Grande-Bretagne faisait saisir nos bâtimens sur toutes les mers, quand des procédés sauvages contraignaient la France de commencer une lutte maritime pour laquelle elle n’était point préparée, il y avait certainement quelque utilité à garantir ses frontières contre une agression éventuelle et à séparer de l’Angleterre cette cour de Vienne où les subsides britanniques avaient si longtemps coulé. Le traité n’aurait présenté que des avantages, même relativement à l’Allemagne, si, conservant à chacune des parties sa liberté d’action, il avait stipulé une alliance purement défensive avec la garantie réciproque des territoires ; mais, réduit à de pareils termes, il n’aurait pas servi les vues profondes de Marie-Thérèse, et l’impératrice ne s’était pas abaissée pour si peu. Elle avait vu naguère la France engagée à la suite de la Prusse dans la guerre de la succession d’Autriche par la stipulation d’une force auxiliaire

  1. Traité de Versailles du 1er mai 1756.