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haines de la marquise et des appréhensions du roi, le gouvernement marcha donc de contradiction en contradiction depuis 1753, date du premier exil prononcé contre le parlement de Paris, jusqu’à l’année 1764, qui vit mourir Mme de Pompadour et achever la destruction des jésuites.

Chaque fois qu’une entreprise nouvelle contre l’épiscopat ou bien une lutte avec le grand conseil mettait aux prises le parlement et le ministère, Mme de Pompadour intervenait d’une part afin de calmer la colère permanente de Louis XV contre les grandes robes, de l’autre afin de rendre les magistrats non pas plus implacables dans leurs haines, mais plus modérés dans leurs exigences. Aux chefs du parti janséniste, elle confiait la secrète résolution du roi de défendre à outrance les droits de sa souveraineté compromise ; au roi, elle montrait le parti religieux groupé autour d’un fils qu’il détestait, parce que sa vie semblait l’éclatante condamnation de celle de son père. Cependant la marquise avait le sort habituel des chefs de faction : lorsqu’elle voulait arrêter les siens, elle perdait l’influence acquise en les stimulant, et s’entendait taxer d’inconséquence quand elle leur reprochait leur ingratitude. Dans ce boudoir tout plein des raffinemens du luxe et des enivremens de la puissance, Mme de Pompadour appelait les meneurs les plus ardens de cette magistrature qui jouait alors avec un tel entrain le prologue du drame dont elle allait être la première victime. Une femme belle et quasi-couronnée se croyait en effet des moyens de séduction personnelle presque irrésistibles ; il n’en arrivait pas moins assez fréquemment que ceux-ci échouassent devant la raideur janséniste, et surtout devant ces aspirations vers la liberté politique, d’autant plus puissantes qu’elles étaient plus vagues. Alors l’actrice changeait de rôle, et parlait des droits que le roi tenait de Dieu et de son épée avec la dignité d’une reine tragique débitant des tirades auxquelles parfois manquait le souffleur. Le président de Mesnières nous a conservé dans ses précieux souvenirs l’une de ces bonnes scènes où Roxelane échange ses voiles de gaze contre le péplum d’Agrippine.

Vers la fin du règne de Louis XV, l’anarchie dans les pouvoirs et dans les idées était parvenue en France à ce point que nul ne soupçonnait plus ni ses droits ni ses véritables intérêts. La royauté défendait avec une aveugle obstination l’omnipotence, devenue son plus grand péril ; la magistrature réclamait des prérogatives politiques aussi contraires à son institution qu’à son esprit ; la cour affichait la plus audacieuse incrédulité, et le clergé, menacé par la philosophie et le jansénisme, épuisait ses forces à repousser des réformes administratives et financières dont aucun corps de la nation n’aurait certainement mieux profité. M. de Machault, successivement