Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans péril le roi sur la joue du pape. En se couvrant d’un zèle ardent pour les libertés de l’église gallicane et pour l’indépendance de l’autorité monarchique, l’on manœuvra de manière à faire sortir l’éclatante consécration du pouvoir parlementaire du chaos métaphysique où se poursuivait depuis si longtemps cette obscure controverse.

Cette grande affaire se présentait donc sous un double aspect, et le côté religieux, étalé avec affectation par les jansénistes, servait à tenir dans l’ombre le côté politique, soigneusement dissimulé par les parlementaires. Tant qu’il ne s’était agi que de contraindre de pauvres curés à dispenser les sacremens de l’église sur injonction d’huissier, malgré la défense de leur évêque ; tant que l’on s’était borné à prononcer contre eux la peine des galères et à les effigier par la main du bourreau, Mme de Pompadour avait trouvé la chose bonne, de pareilles gens ne pouvant jamais être assez punis de la mauvaise opinion qu’ils avaient d’elle. La scène changea cependant lorsque l’épiscopat y eut remplacé le bas clergé, et quand la favorite se vit en face de ce Christophe de Beaumont qui, dans sa charité presque indiscrète, allait chercher des filles perdues dans leurs galetas, mais se redressait de toute sa fierté de gentilhomme et d’évêque devant le vice en manteau de cour. Des pénalités portées contre les curés, les parlemens avaient passé à l’exil des évêques et à la saisie de leur temporel. Parmi ces prélats, il en était plusieurs auxquels le titre de leur siège donnait le droit de déférer ces arrêts à la cour des pairs, et le gouvernement pouvait ainsi d’un moment à l’autre retrouver devant lui les prétentions tracassières de la pairie, qui, bien que de peu de valeur en elles-mêmes, n’étaient point sans danger dans une situation tellement ruinée qu’il suffisait de toucher à une seule pierre pour déterminer une catastrophe.

Quand Louis XV, qui avait fait tant de sacrifices à son repos, se vit troublé dans sa conscience en même temps qu’inquiété dans son autorité, lorsque Mme de Pompadour put commencer à craindre que l’ardeur de ces controverses ne réveillât le monarque et comme chrétien et comme roi, elle éprouva les plus étranges perplexités. Très inquiète des forces qu’elle avait involontairement apportées à l’opposition parlementaire et de la diminution de cette autorité absolue, sa seule sauvegarde contre le pays, elle s’arrêta court, craignant d’avoir dépassé le but et servi sa passion aux dépens de son intérêt. C’est avec vérité qu’un historien a comparé son attitude à celle de Catherine de Médicis dans des conjonctures plus terribles, mais non plus difficiles[1]. S’inspirant tour à tour des

  1. Lacretelle, Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, t. III, p. 196.