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et la France n’était pas alors en mesure de se passer de la cour de Madrid.

À l’occasion de ces affaires d’Italie, où la France se mit en 1745 à la suite d’Elisabeth, comme en 1741 elle s’était placée à la suite de Frédéric II, le marquis d’Argenson, alors ministre des affaires étrangères, avait préparé un vaste plan qui vint malheureusement échouer contre l’impérieuse volonté de la reine d’Espagne. Appelé au conseil en remplacement d’Amelot, écarté, disent les uns, parce qu’il était désagréable au roi de Prusse, disgracié, soutiennent les autres, parce que son bégaiement était antipathique à Mme de Pompadour, l’aîné des d’Argenson porta dans un poste qu’il occupa moins de deux années une âme honnête et un esprit élevé, quoique parfois chimérique. S’il obtint moins de succès près de ses contemporains comme ministre qu’il n’en obtient près de nous comme écrivain, c’est qu’il paraît avoir manqué absolument des petites qualités toujours nécessaires pour faire valoir les grandes. Son projet de confédération italienne, très judicieux et très bien lié dans toutes ses parties, n’eut qu’un tort : ce fut d’émaner d’un cabinet trop faible pour le faire accepter de l’Espagne. Ce plan, conçu dans une pensée très hostile à l’Autriche, comme tous ceux que caressait alors la cour de France, avait pour but, après l’expulsion des Allemands, de constituer dans la péninsule des maisons princières appelées à devenir exclusivement italiennes, et de rattacher ces souverainetés par un lien fédératif et la création d’une diète permanente[1]. Dans cette combinaison, dont l’accomplissement présupposait le concours résolu du roi de Sardaigne, ce prince recevait le Milanais tout entier, et l’infant don Philippe n’obtenait que le seul duché de Parme, ancien patrimoine de sa mère. Porté à Turin par un agent secret, le plan français y fut accueilli avec chaleur, et Charles-Emmanuel, ayant mordu à l’hameçon avec une sorte de rapacité, se préparait déjà à réunir aux forces françaises l’armée qui opérait alors contre elles de concert avec les Autrichiens ; mais à Madrid, où l’on voulait tout le Milanais pour don Philippe, un cri de rage accueillit le projet de d’Argenson, et le cabinet de Versailles, où M. de Maurepas défendait avec passion les intérêts espagnols, recula à la pensée de se séparer du seul allié qui demeurât encore à la France. Le roi de Sardaigne, exaspéré d’avoir été compromis par un gouvernement incapable de faire prévaloir sa volonté, reprit avec acharnement le cours d’opérations militaires qui allaient, à la campagne suivante, conduire son armée jusqu’au centre de la Provence.

  1. Mémoires du marquis d’Argenson. — Progrès et rupture de la Négociation de Turin, tome m, chap. V.