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de sa politique, Frédéric s’empressa-t-il, sitôt que la victoire fut revenue sous ses drapeaux à Friedberg et à Nesseldorff, de négocier une nouvelle paix séparée avec l’Autriche[1], en s’y faisant concéder une seconde fois la malheureuse province arrosée de tant de sang. Enfin, pendant que les villes de la Flandre présentaient leurs clés au roi de France, les électeurs, donnant à ce long drame son dénoûment inévitable, plaçaient la couronne du saint-empire sur la tête du chef de la nouvelle maison d’Autriche, et la France, chassée de l’Allemagne après y avoir perdu son dernier allié, voyait la Hollande entrer comme belligérante dans une lutte où cette puissance avait poursuivi longtemps le rôle de médiatrice.

Dans cet isolement, la position du cabinet de Versailles devint des plus étranges, car la paix lui fut à peu près aussi impossible que la guerre. Si la convenance d’une négociation directe avec l’impératrice-reine ressortait de l’état des choses, cette résolution rencontrait au sein d’un conseil divisé sur tout le reste des résistances presque unanimes. Il répugnait en effet aux auteurs d’une guerre injuste d’en confesser l’inefficacité, il répugnait surtout au ministre chargé de diriger les opérations militaires de renoncer aux succès de parade que le roi obtenait en Flandre à chaque nouvelle campagne, quelque certitude qu’on eût de perdre à la paix des conquêtes que ne sanctionneraient à aucun prix ni l’Angleterre ni la Hollande. Les embarras suscités au cabinet français par sa propre faiblesse n’étaient rien pourtant auprès de ceux que faisaient naître les exigences de la seule cour qui eût uni jusqu’alors ses efforts aux nôtres. Elisabeth Farnèse gouvernait encore l’Espagne, et l’âge avait donné à sa volonté quelque chose de plus indomptable. En voyant approcher le moment de la retraite claustrale assignée par l’usage aux veuves des rois catholiques, cette princesse aspirait à une grande souveraineté en Italie, afin d’aller, après la mort de son époux, régner sous le nom de don Philippe, le fils le plus cher à son cœur. L’établissement de l’infant don Carlos, déjà accompli depuis 1736 dans le royaume des Deux-Siciles, ne suffisait plus ni à ses prévoyances ni à ses égoïstes tendresses. Il fallait que le second de ses fils portât aussi une couronne royale, et pour atteindre ce dernier but de son ambition, rien ne lui semblait plus légitime que l’embrasement indéfini de l’Europe. Quoique Louis XV fût très attaché à la branche espagnole de sa maison, quoiqu’il portât à l’infant don Philippe, époux de sa fille aînée, une affection paternelle, il aurait voulu détourner Elisabeth d’une tentative qui rendait la paix impossible ; mais, en s’alliant avec cette princesse, on s’engageait moins à servir les véritables intérêts de l’Espagne que ses passions,

  1. Paix de Dresde, 25 décembre 1745.