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dégoûtée d’une guerre qui, dans l’opinion publique, aigrie contre la cour, commençait à former un parti du roi de Prusse et un parti de Marie-Thérèse ; elle répugnait aux sacrifices nécessaires pour réparer un désastre qu’il lui semblait plus humiliant d’avoir mérité que d’avoir subi. L’empereur bavarois, chassé de sa ville de Munich, sans états, sans troupes et sans autres ressources pécuniaires que nos subsides, ne régnait plus que dans les murs d’une place forte. L’on eût dit un prisonnier plutôt qu’un souverain, et l’excès de son désespoir laissait déjà pressentir à la France qu’elle ne conserverait plus longtemps en dépôt sous ses tentes cette couronne impériale, le seul trophée d’une guerre malheureuse.

Pour la puérile satisfaction d’avoir désigné un empereur, la France se retrouvait placée dans une situation analogue à celle dont elle avait dû affronter les périls à meilleur titre lorsque le petit-fils de son roi fut spontanément appelé au trône d’Espagne. L’Angleterre était parvenue à organiser, par la promesse d’énormes subventions, une coalition européenne, dans laquelle était entrée jusqu’à l’impératrice de Russie. Une armée anglo-hanovrienne commandée par George II combinait ses opérations avec celles du prince Charles de Lorraine, qui, après avoir victorieusement défendu le territoire de l’empire, menaçait déjà le nôtre. La Sardaigne, ne se fiant plus à la fortune de la France, avait répudié son alliance. Nos frontières, découvertes depuis la perte de la bataille d’Ettinghen, allaient être attaquées par trois armées de la côte de Provence à la Mer du Nord ; enfin l’Alsace entendait déjà hurler les bandes sauvages de Mentzel et voyait fumer les torches de ses pandours.

L’on était dans ces circonstances critiques, dont le découragement général accroissait encore le péril, lorsqu’une résolution importante vint imprimer un autre cours à l’opinion nationale. Paris, où la curiosité ne trouvait guère pour alimens que des histoires de galanterie ou des publications scandaleuses, se remit avec une passion toute soudaine à l’étude des grandes questions dont il semblait s’être désintéressé aussi complètement que son roi. Le 3 mai 1744, on apprit que Louis XV, quittant enfin le théâtre de ses chasses et celui de ses plaisirs, allait se montrer à son armée dans l’imposant éclat de sa virile beauté. Cette résolution fut accueillie avec une sorte d’ivresse : en retrouvant son roi, la France se retrouvait elle-même dans l’élan de son enthousiasme et de sa confiance.

Cependant quelques personnes en mesure d’étudier de plus près le monarque demeuraient étrangères à ce généreux entraînement. Parmi celles-ci, il faut citer en première ligne la trop célèbre Mme de Tencin, qui dépassait même son frère en perspicacité comme en esprit d’intrigue. L’abbé de Tencin, devenu cardinal sur la présentation de Jacques III, admis dans le conseil de Louis XV aux derniers