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mais il ajoute au mal qu’il décèle, et M. Greg a plus d’une fois fait entendre qu’il le comptait au nombre des raisons qui troublent sa confiance dans le triomphe complet et régulier de la liberté moderne. Il lui paraît très difficile que tous ceux qui croient défendre la religion acceptent la liberté, et que tous ceux qui veulent la liberté reviennent à la religion. Il y a là une double réforme à opérer qu’il ne peut regarder comme assurée, et ses doutes sont ceux d’un esprit sage, qui craint également les illusions et les préjugés.

Son pays lui inspire beaucoup moins d’inquiétudes. Bien que peu disposé à se dissimuler les difficultés des choses, celles que les Anglais ont à combattre lui paraissent surmontables. Elles seront surmontées, pourvu que la raison publique, toujours avertie, soit toujours prête aux sacrifices nécessaires, et trouve un appui constant dans le caractère national. Il professe le principe de Sénèque, sanabilibus œgrotamus malis, principe généralement accepté des Anglais, quoiqu’il soit au fond la négation du pur calvinisme ; mais ce calvinisme même, mais les formes qu’il a prises, les institutions dans lesquelles il s’est en partie perpétué, en partie dénaturé, les maximes et les pratiques des corps et des partis religieux, tout cela ne donne à M. Greg ni une satisfaction sans mélange ni une entière sécurité. Il entrevoit dans la durée et la puissance à venir de certains abus et de certains préjugés qu’on s’efforcerait de rendre inséparables du christianisme une sorte de provocation à l’indifférence religieuse, ou même à la révolte contre toute règle morale ayant une autre sanction que les lois ou les dangers de ce monde. Il ne croit pas cependant à la possibilité d’une société purement matérialiste, et, fût-elle possible, il n’a nulle envie de la voir réalisée. Il veut donc la religion. Or la religion, dès qu’elle est autre chose qu’une idée ou un sentiment, ne peut être que le christianisme, et le christianisme, qui devrait être un lien entre les hommes, devient une question qui les divise. Pour faire cesser la divergence ou le conflit, il faudrait une transaction entre l’esprit traditionaliste de l’église et l’esprit rationaliste d’une partie de la société moderne ; mais une transaction n’est possible que lorsqu’au moins une des deux parties cède quelque chose, c’est-à-dire se réforme. Il faut que l’église comprenne qu’on peut être encore religieux sans être orthodoxe ; il faut que la société laïque sache comment on peut être chrétien sans être intolérant. Qu’est-ce donc que cette base de transaction ? qu’est-ce que cette croyance commune ? qu’est-ce que ce fond du christianisme, dont les uns doivent se contenter, auquel les autres doivent revenir ? qu’est-ce en un mot que la croyance chrétienne ?

Tel est à peu près le titre difficile à traduire d’un livre que M. Greg