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rade créée pour les besoins de la guerre est au service de tous les intérêts de la paix, et l’établissement militaire est pour le commerce local un acheteur qui dépasse jusqu’à présent en importance tous les autres réunis.

Cherbourg se montre pour la première fois, sous le duc Guillaume II, au rang des villes qui comptaient en Normandie. Ce prince y fonda en 1053 l’un des quatre hôpitaux dont la construction et la dotation furent une des conditions de la levée de l’excommunication qu’il avait encourue en épousant, sans dispenses du pape, Mathilde de Flandre, sa cousine germaine. Les trois villes qui reçurent de semblables dotations furent Bayeux, Caen et Rouen, et l’on peut conclure de cette circonstance que Cherbourg était alors la quatrième du duché. Lorsque Guillaume eut conquis l’Angleterre et placé sous le même sceptre les deux rivages de la Manche, les relations se multiplièrent entre les ports riverains, et c’est probablement à cette époque de sécurité que remonte l’établissement d’un commerce régulier entre Cherbourg et l’Irlande. Ce commerce était fait par un bâtiment qui partait chaque année de Cherbourg, et Philippe-Auguste trouva la ville en possession de ce privilège, lorsqu’il conquit en 1203 le Cotentin. Il l’y maintint en 1207. C’était un temps en effet où le commerce ne se faisait qu’à l’abri d’un privilège ; Rouen en avait un semblable, et les avantages du trafic entre l’Irlande et la France furent dès lors partagés entre ces deux ports.

Il faut arriver au règne de Louis XIV pour voir, après cette époque, poindre quelque industrie à Cherbourg. Les guerres dont le pays fut si longtemps la victime suffisaient pour exclure toute autre préoccupation ; mais, quand elles eurent cessé, des fléaux qui les avaient accompagnées continuèrent à s’appesantir sur la population. Les épidémies qui sous le nom de peste étaient au moyen âge le résultat naturel de la mauvaise construction des villes et de l’absence de toute police sanitaire ravagèrent Cherboug en 1504, 1517, 1554, 1594 et 1623. La description que donne Vauban dans son mémoire de 1686 des rues étroites et humides, des hautes murailles interceptant la circulation de l’air, de l’entassement de population qui s’offrirent à ses yeux, des lagunes infectes que formait en dehors des portes le mélange des eaux de la mer avec celles de la Divette, n’explique que trop bien les retours périodiques de maux si faciles à conjurer. Vauban abattit l’enceinte gothique du moyen âge, fit pénétrer l’air et la lumière dans le cloaque qu’elle enveloppait, élargit les issues, donna de l’espace pour des constructions neuves, y fit refluer les habitans trop pressés dans de sombres demeures, creusa pour l’établissement du port une partie des lagunes, combla l’autre avec les déblais, et si ses travaux de défense