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L’extension du sol forestier peut et doit marcher dans le département de la Manche de front avec celle du sol arable. Quand les plantations et les semis n’auraient pas l’avantage de donner aux cultures des abris contre la violence des vents de mer, il faudrait les propager dans l’intérêt de la navigation et par économie des amendemens qu’exigent impérieusement toutes les autres sortes d’améliorations. À une époque qui, comptée par générations d’arbres, paraît peu éloignée de nous, la presqu’île du Cotentin était, selon le témoignage de Vauban et des anciens cartulaires, couverte de bois durs, particulièrement de chênes. La terre, fatiguée d’y produire ces essences, semble réclamer l’application de cet assolement, aussi nécessaire aux grands végétaux qu’aux petits, qui s’établit de soi-même sous nos yeux dans les Alpes et les Pyrénées, et fait succéder alternativement les uns aux autres les bois durs et les bois résineux. La semence des derniers manque malheureusement dans le pays, et l’acclimatation de ces espèces vulgaires ne serait pas indigne de la sollicitude d’une société à laquelle la France doit déjà beaucoup de raretés. Dans d’assez longues courses au travers de la presqu’île, je ne me souviens d’avoir aperçu de conifères bien choisis et bien venans qu’à Martinvast, chez M. le comte du Moncel : la propagation de cette famille d’arbres dans un pays qui consomme beaucoup de petits bois de mâture pour les besoins de la pêche et du cabotage ne serait pas le moindre bienfait de cet éminent agriculteur.

Vauban appelait Cherbourg l’auberge de la Manche, et n’en trouvait pas la position moins hospitalière qu’audacieuse. Pour que la ville et le port remplissent cette destination, il faut que la culture prenne un essor vigoureux dans tout le rayon d’approvisionnement auquel ils correspondent, et nulle part on n’est plus fondé que dans le Cotentin à regarder le progrès agricole comme la base la plus essentielle des développemens de la navigation.

IV.


L’histoire civile et commerciale de Cherbourg est moins brillante et moins remplie que son histoire militaire. Les échanges ne pouvaient pas être fort actifs dans une ville maritime que des montagnes, des forêts, des marécages, condamnaient à une sorte d’isolement territorial, et cet état de choses était souvent aggravé par les luttes armées dont Cherbourg était le but ou le théâtre. Les choses sont aujourd’hui changées ; les forêts sont éclaircies ou détruites, les montagnes sont aplanies ou tournées, les marais sont desséchés, la