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de vallées, que les teintes bistres y tiennent moins de place. La persistance du mouvement rétrograde de la population des campagnes annonce au moins qu’un tel résultat tient à des causes très prochaines. Si l’extension du pâturage aux dépens du labourage était la cause principale du fait qui ressort des dénombremens officiels de la population, il serait oiseux de le déplorer. En acceptant toutes les conséquences du climat et des nouveaux besoins de la société, il faudrait cependant ne rien négliger pour faire concourir le climat et ces besoins nouveaux à la réparation du tort qu’ils auraient causé. La température du département de la Manche diffère peu au printemps et à l’automne de celle de Paris ; mais elle lui est supérieure dans les froids et inférieure dans les chaleurs d’environ six degrés, et dans cette condition moyenne elle est exempte de fortes gelées et de longues sécheresses. La végétation ne s’arrête donc presque pas dans ces campagnes ; toutes les plantes qui craignent les grands froids sans exiger une chaleur extrême y réussissent ; enfin la moiteur habituelle de l’air exclut dans l’arrière-saison des manipulations qui assurent ailleurs la conservation des fourrages : on n’y obtient, par exemple, presque jamais la dessiccation des foins de seconde coupe. L’obligation de les faire consommer en vert a conduit à la coutume du pâturage, qui s’est imposée à tout le pays. C’est dans le Cotentin comme dans des régions lointaines qui ne lui ressemblent guère :

Saepe diem noctemque et totum ex ordine mensem
Pascitur…

Mais ici cette coutume peut amener un autre régime, celui de la nourriture au vert et à la crèche, soit à l’étable, soit en plein champ. La propagation de cette méthode serait autrement féconde que la conversion des terres labourées en herbages. On sait que l’animal au pâturage détruit par le piétinement beaucoup plus d’herbe qu’il ne s’en approprie : la faux donnerait un emploi à cette herbe perdue ; la quantité de bétail serait notablement augmentée, et les ouvriers des campagnes retrouveraient beaucoup plus de travail qu’ils n’en auraient perdu. Cette transformation, très simple en théorie, très difficile dans la pratique avec une population dont l’entêtement est proverbial et la force d’inertie extrême, est sans doute la moins coûteuse et la plus efficace que puissent encourager les hommes éclairés du pays.

Les améliorations agricoles qui n’exigent point d’immobilisation de capital sont toujours les premières qu’il importe de réaliser ; elles fournissent les moyens d’en accomplir d’autres, et l’ordre de priorité doit être dans l’économie administrative le même que dans