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ne remplace pas les inspirations qui naissent de la grandeur du spectacle des faits naturels qu’il s’agit de pénétrer, et dans l’éloignement il exerce peu d’influence sur les hommes qu’il s’agit de convaincre. Sur le bord de la mer au contraire, chaque découverte faite dans le laboratoire réagit immédiatement sur un plus vaste théâtre, et toute semence jetée tombe sur un terrain préparé pour la recevoir. L’aquarium n’est plus un objet d’oiseuse curiosité ; ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui l’entourent dans leurs jours de loisir ; race observatrice et curieuse, obligée d’étudier les mœurs de sa proie pour l’atteindre, ils fournissent au naturaliste des sujets à méditer, et profitent de tous ses conseils. L’insuffisance de nos règlemens sur la pêche côtière est connue ; qu’on les observe ou non, l’effet est à peu près le même sur l’aménagement de la richesse ichthyologique ; aussi n’inspirent-ils pas à ceux qui doivent les faire exécuter plus de respect qu’à ceux qui doivent s’y soumettre. C’est le sort de toute législation faite sans une intelligence suffisante des matières qu’elle régit. La réforme qu’il importe d’introduire dans notre régime n’atteindra son but qu’autant qu’elle sera fondée sur le concours de la science du naturaliste et de l’expérience du pêcheur. Cherbourg semble un lieu privilégié pour ces sortes d’études : l’observateur y est en contact avec les circonstances naturelles les plus favorables, et le personnel attaché au port dans ses ingénieurs, ses officiers et son organisation médicale, la ville elle-même dans sa société académique, offrent une réunion d’hommes préparés à résoudre des questions d’histoire naturelle et d’administration d’un intérêt vital pour le pays. C’est donc à Cherbourg plutôt qu’à Paris qu’il faut établir l’aquarium des espèces marines. Cet aquarium y sera complété par le voisinage du bassin de retenue, laboratoire de plus de trois hectares de superficie où l’eau de la mer demeure, se renouvelle, s’élève ou s’abaisse à volonté, et où peuvent se répéter en grand toutes les expériences scientifiques. Ce bassin peut même devenir un parc pour l’éducation des crustacés : il n’existe aucune raison plausible de douter que ces animaux ne soient susceptibles d’être élevés comme le sont les huîtres à Ostende et dans plusieurs bras de la Tamise en aval de Londres. Quant aux huîtres, la multiplication artificielle n’en est plus une difficulté, et il serait d’autant plus à propos de s’y livrer à l’entour de Cherbourg, que la ramification et l’allongement des chemins de fer ouvrent à cette denrée un débouché presque illimité. La production n’est plus en équilibre avec la consommation. Le millier d’huîtres valait il y a trente ans sur les pêcheries de trois à quatre francs ; il y en coûte aujourd’hui quatorze, et un aliment salubre, qui devrait être à la portée des plus humbles fortunes, devient le partage exclusif des grandes. Les