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est le dépôt naturel de toutes les ressources dont la défense de la côte peut exiger l’emploi. L’anse Saint-Martin et le Hable d’Omonville sont d’ailleurs dominés de tous les côtés, et ils ne sauraient être possédés que par celui qui commande à terre.

En dehors du Hable d’Omonville et de l’anse Saint-Martin, les roches de La Hague laissent entre elles quelques interstices, où l’on tire à terre des bateaux de pêche. Le principal de ces échouages est celui de Goury, dont les observations de M. Daussy sur les marées de la Manche ont fait connaître au loin le nom : il gît sur le Raz-Blanchard, directement en face d’Aurigny. Les pêcheurs de La Hague bravent sur des bateaux montés par deux hommes et un mousse la mer impérieuse qui les environne, et leur familiarité avec les brusques allures du raz les préserve des naufrages. Tous les marins appelés à fréquenter ces parages, faits pour être en temps de guerre le théâtre de tant de surprises, devraient s’approprier leur expérience.

M. Beautems-Beaupré de nos jours, Vauban et Colbert de Terron au XVIIe siècle, François Ier au XVIe, n’ont pas été les premiers à s’apercevoir des avantages attachés à la possession de la presqu’île de La Hague : l’instinct militaire des barbares qui désolaient l’Europe au moyen âge les avait découverts avant eux. Les anciens Normands ont laissé sur cette langue de terre d’irrécusables traces de leur séjour ; ils en avaient fait leur principale place d’armes, et la durée des travaux de défense qu’ils y ont élevés témoigne de la solidité de leur occupation. La presqu’île ressemble, par son élévation et son allongement vers le nord-ouest, à un môle jeté en travers de la Manche. Dans un temps où les mers qui la baignent étaient presque désertes, elle paraissait s’avancer à la rencontre des premiers navigateurs normands, et ses anses, ses échouages invitaient leurs pirogues à s’y arrêter. Ils y descendirent donc, la nommèrent La Hague[1], c’est-à-dire le lieu d’abordage, le havre par excellence, et ne tardèrent pas à reconnaître que l’atterrage qui était le mieux à leur portée par mer était aussi le plus facile à défendre du côté de la terre : la mer dont ils étaient les maîtres l’enveloppait sur les quatre cinquièmes de son périmètre, et il ne fallait, pour le rendre inabordable aux ennemis venant de l’intérieur, qu’une ligne de défense dont ils avaient pu prendre le modèle dans la fameuse muraille des Pictes, ou mieux encore dans le Dannewirke[2] du Slesvig. Telle fut indubitablement l’origine du '

  1. Hagen, altération du danois. Le nom de ville que nous prononçons Copenhague a la même étymologie.
  2. Ouvrage-Danois. Rempart qu’on suppose élevé vers le IXe siècle, et qui, séparant le Danemark proprement dit du Holstein, ferme l’espace compris entre le fond du golfe étroit de Slesvig et la Mer du Nord. Onze mille Danois l’ont bravement défendu le 25 avril 1848 contre vingt-huit mille Allemands.