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bataille de La Hougue : nous les connaissons déjà[1]. Revenons à la rade de Cherbourg, et dirigeons-nous vers l’ouest. Après le fort de Querqueville, la côte court, sans présenter de rentrans sensibles, jusqu’à l’embouchure du ruisseau de la Sabine. À ce point, elle forme un coude très prononcé vers le nord ; les échancrures s’y multiplient, elle s’enveloppe dans une ceinture d’écueils, et dès qu’elle se replie un peu plus loin vers l’ouest, les allures des marées annoncent le voisinage du redoutable Raz-Blanchard[2]. Au doubler du cap de La Hague, l’île d’Aurigny se montre à huit milles au large ; les falaises gigantesques de Jobourg se dressent au sud, et les courans de flot et de jusant se précipitent avec fureur quatre fois par jour dans l’étroit intervalle qui sépare l’île anglaise de la côte de France. Le Raz-Blanchard est incontestablement le passage le plus dangereux de nos côtes. Les courans de marées y sont d’une violence inouïe ; en heurtant les brusques relèvemens du fond, ils éprouvent les remous les plus bizarres. Leur direction varie à chaque instant de l’ascension ou de l’abaissement de la mer, et les mêmes vents qui les poussaient tout à l’heure les prennent maintenant à rebours. Il faut souvent renoncer à gouverner sur cette mer trompeuse, et toujours se garder d’entreprendre une lutte fatale contre ses fureurs. Le seul moyen de la vaincre est de saisir les momens voisins de la molle-eau où elle est paisible. Du Nez de Jobourg, dont les grottes et les précipices ont été si souvent décrits, la côte se retire vers l’est pour former la longue anse de Vauville. La presqu’île de La Hague, dont nous venons de côtoyer le contour, est à celle du Cotentin ce qu’est celle-ci à la Basse-Normandie : elle s’avance à 10 kilomètres au nord-ouest de Beaumont ; la largeur moyenne de cette presqu’île est de 7 kilomètres, et l’arête qui en sépare les deux versans est élevée de 150 à 180 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle est par son versant oriental en vue du fort central de la digue de Cherbourg, et de son versant occidental elle regarde les îles anglaises et la sirte qui s’enfonce entre la Normandie et la Bretagne. Peu de bâtimens font voile d’un bout à l’autre de la Manche sans venir la reconnaître. La presqu’île de La Hague forme le saillant de la côte de Normandie, et ressemble à un poste avancé placé dans le voisinage de Cherbourg pour surveiller tout ce qui se passe dans les mers adjacentes. Les travaux qu’exécute l’Angleterre depuis plusieurs années, surtout à Aurigny, ne peuvent manquer de rendre à ce point trop oublié de notre territoire son ancienne importance militaire.

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1854, la Baie de la Seine.
  2. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1851, les Côtes de la Manche.