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de terre, sa tête sinistre au-dessus des eaux. Le banc s’abaisse et se termine brusquement à 3 kilomètres de la côte ; les courans de marée se précipitent avec fureur sur la barrière qu’il leur oppose, bondissent sur son dos, et forment dans l’anse adjacente des remous qui la rendent à peu près impraticable, si ce n’est dans les courtes heures de la molle-eau. On estime que, pour peu qu’il vente frais, le raz du Cap-Lévy n’est pas moins dangereux que celui de Barfleur. Ce sont ces remous placés à l’entrée de Cherbourg qui causèrent, il y a quelques années, la perte de la frégate la Thétis.

Il est surprenant qu’aucune des personnes qui déplorent l’insuffisance d’étendue de la rade de Cherbourg n’ait remarqué combien il y serait convenablement suppléé par l’adjonction de l’anse de Bretteville. L’apaisement des eaux tumultueuses de l’anse serait le meilleur moyen de doubler la surface du mouillage, si les besoins de la flotte l’exigeaient. Le grand obstacle à cette transformation est la violence des courans qui traversent le raz, et le travail à exécuter pour la dompter est indiqué par la nature des choses : ce serait la fondation, sur le banc qui prolonge le Cap-Lévy, d’un môle insubmersible interceptant complètement le passage. Tout hérissé de grandes roches qui serviraient de points d’appui et de divisions à la construction, le banc sous-marin a environ 900 mètres de largeur, et sa profondeur, très variable, est de 8 à 12 mètres : on ne saurait souhaiter de base plus solide. La digue partant de la roche de Biéroc, et laissant entre elle et la côte un passage de 400 mètres, serait poussée à 2,600 mètres au large ; elle ne pourrait pas, comme sa voisine, se former d’une agglomération de pierres perdues : la violence des courans ne permettrait pas à ces pierres de se fixer. Heureusement l’art de l’ingénieur a fait depuis trente ans des progrès dont ce serait ici le cas de se prévaloir : M. Poirel a imaginé les blocs rectangulaires de béton à l’aide desquels on construit le môle d’Alger et le port de la Joliette de Marseille. Un autre ingénieur, dont il m’est à peine permis de rappeler les services, a montré dans les travaux du pont de Saint-Maur, près Paris, quels obstacles on peut vaincre par l'emploi du béton enveloppé dans des toiles. Il est hors de doute que des massifs de béton immergés frais dans des sacs ou de larges boyaux de toile, se moulant ainsi sur les aspérités du fond et ne laissant point entre eux de vides, constitueraient rapidement une jetée indestructible et résisteraient, par la ténacité de l’assiette et la flexibilité des formes, aux fureurs des courans du raz. Les difficultés de la construction ne sauraient être un objet d’inquiétude ; seulement il faudrait, avant de l’entreprendre, en mesurer toutes les conséquences. Parmi les nombreux