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Un grand nombre de jeunes gens avaient ainsi péri, au point que presque tout le pourtour du salon était garni de leurs images. Et si le roi demandait ce que c’était que ces statues, elle disait que c’étaient ses dieux, réponse que rendait vraisemblable la multitude d’idoles en honneur chez les Mexicains. Cependant parmi ses amans il y en avait trois, les uns et les autres de rang élevé, qu’elle avait épargnés. Le roi reconnut sur l’un d’eux un joyau dont il avait fait présent à Chalchiuknenetl, et, sans encore soupçonner la vérité, il conçut quelque défiance. Il alla la visiter la nuit. Les femmes de service dirent qu’elle reposait, s’imaginant qu’il se contenterait comme d’ordinaire de cette raison ; mais il insista pour pénétrer dans sa chambre, et s’étant approché du lit pour la réveiller, il n’y trouva qu’une poupée ornée d’une chevelure et ressemblant parfaitement à la princesse. En voyant cette image et l’effroi qui se peignait sur les visages des serviteurs, le monarque appela ses gardes et fit arrêter tout le monde. On chercha la princesse, et on finit par la trouver dans un pavillon isolé, occupée à danser avec ses trois amans. Elle fut jetée en prison ; les juges du tribunal suprême instruisirent l’affaire, et la reine et les coupables furent étranglés ; deux mille serviteurs, condamnés comme complices, périrent avec eux, et leurs cadavres furent jetés dans le ravin qui environnait le temple de la divinité vengeresse de l’adultère.

De loin, lorsque les splendeurs de la civilisation mexicaine se présentent à l’esprit, on se sent plein de compassion pour cet empire que les mousquets de quelques aventuriers ont frappé à mort avec son industrie, ses arts, son commerce, toute sa civilisation ; mais quand l’historien nous a montré tant de poitrines ouvertes, et les prêtres, rendus par le sang couleur d’écarlate, secouant par milliers sur leurs autels des cœurs palpitans, la conquête, avec toutes ses violences mêmes, est justifiée. Jadis, quand nos druides versaient du sang, la Gaule barbare n’avait ni édifices ni industrie, et elle ne présentait pas le hideux contraste de la civilisation avec des sacrifices humains. Devons-nous, après cela, conclure à l’infériorité morale de certaines races, et, parce que l’empire mexicain avec sa civilisation a entièrement disparu, croire à la condamnation absolue de ses peuples indigènes ? — Nous trouverions dans l’excellent ouvrage de M. Brasseur de Bourbourg des argumens pour la thèse opposée : les Indiens avec lesquels l’auteur a vécu étaient de mœurs douces et bienveillantes, beaucoup d’entre eux lui ont fourni avec intelligence les renseignemens de sa volumineuse histoire. Un descendant d’un frère de Montezuma est professeur de droit et de langue mexicaine à l’université de Mexico, et il ne faut pas désespérer de voir un jour un coin de la terre fertile où régnèrent les Toltèques arraché à l’anarchie qui aujourd’hui la dévore, préservé de l’ambition américaine, et faisant refleurir, son antique civilisation sous l’influence d’une éducation morale et de sentimens de charité que ses anciens maîtres ne connaissaient pas.


ALFRED JACOBS.


V. DE MARS.