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avec le répertoire qu’il a créé, et dans lequel la musique n’est guère qu’un élément de la fable dramatique, succède un chanteur proprement dit, d’un ordre plus élevé : nous voulons parler de M. Ponchard. Élève du Conservatoire, et particulièrement de Garat, sans contredit le plus admirable chanteur que la France ait eu, M. Ponchard, dont le physique n’était pas la qualité la plus brillante, a débuté en 1812 dans l’Ami de la Maison et le Tableau parlant de Grétry. Vocaliste distingué, excellent musicien, homme de goût et de style, M. Ponchard, à qui Garat disait un jour, assure-t-on : « Tu as du talent, mon ami, mais tu manques de génie, » n’en est pas moins le meilleur chanteur qui ait encore paru, sur le théâtre de l’Opéra-Comique. Supérieur à Martin par le goût et la sobriété du style, M. Ponchard est, avec Mme Damoreau et Mme Carvalho, le chanteur français qui représente le mieux la phase de l’opéra-comique qui a suivi l’impulsion de Rossini. Doué d’une voix charmante, comédien intelligent et plein de ressources, M. Roger renouvelle, après lui, au théâtre de l’Opéra-Comique les succès de Clairval et d’Elleviou. Il est pendant dix ans le chanteur de prédilection de M. Auber, dont il interprète très bien la musique légère et délicate, sans qu’il lui ait été donné de pouvoir s’élever, comme chanteur proprement dit, au talent de M. Ponchard. Tels ont été les prédécesseurs de M. Montaubry au théâtre où il vient de s’essayer dans les Trois Nicolas.

M. Montaubry est jeune, car à peine a-t-il trente ans. Il est d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, mince, élancée, bien pris dans toute sa personne, et d’une physionomie agréable. Il a l’habitude de la scène, dit le dialogue avec intelligence, et ne manque ni de chaleur, ni même d’une certaine élégance relative. La voix de M. Montaubry est un ténor élevé, ce qu’on appelait autrefois, dans l’école française, une haute-contre, d’un timbre métallique et un peu strident, qui me rappelle la voix de M. Ponchard. M. Montaubry chante avec assurance et pousse les notes de poitrine jusqu’au la au-dessus de la portée, après quoi il ajoute encore un registre de sons flûtes dits sons de fausset, qui pourrait aller, je pense, jusqu’au contre-mi. Les Italiens qualifieraient la voix de M. Montaubry de tenorino, voix blanche et toute en dehors, voix française manquant de flexibilité et de coloris. M. Montaubry, que toute sorte de liens légitimes attachent à M. Chollet, qui fut le successeur de Martin et le créateur des rôles de Zampa et du Postillon de Longjumeau, M. Montaubry rappelle fortement cet artiste distingué par la manière dont il s’élance de sa voix de poitrine aux notes supérieures, qu’il aime à suspendre en l’air pour en faire admirer la limpidité. N’abuse-t-il pas un peu de ces portamento, de cette brusque transition qui forment parfois un hiatus, d’autres diraient un hoquet, qui n’est pas toujours musical ? M. Montaubry, qui se possède toujours et ne s’emporte qu’à bon escient, caresse volontiers la phrase mélodique, prépare et termine ses phrases avec une certaine afféterie d’inflexions et de gestes qui tient un peu trop du troubadour et du chanteur de romances. Ce sont là des défauts contractés évidemment en province, que le public de Paris ne manquera pas de corriger, car M. Montaubry est un artiste sérieux, qui aspire à tenir le premier rang dans la carrière où il est entré. Un reproche qui nous paraîtrait plus grave, si nous pouvions le lui adresser en toute sûreté de conscience, ce serait celui d’être un peu monotone dans sa manière de phraser,