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ce qui se passe en Lombardie a son retentissement dans les autres états italiens, il y a partout une sorte d’inquiétude ou d’attente en face de l’imprévu.

Quelle est la part du Piémont dans cette agitation ? Ce n’est pas lui évidemment qui l’a créée ; mais il en profite, comme il profite toujours de toutes les fautes ou de tous les embarras de l’Autriche, et de tous les emportemens de la réaction absolutiste dans le reste de l’Italie. Par la nature de ses institutions nouvelles, par le caractère si nettement tranché de sa politique nationale, le Piémont est devenu le champion de tous les patriotismes froissés, de tous les instincts libéraux comprimés, de même qu’il est devenu le refuge de tous les Italiens qui ne peuvent vivre dans leur pays. Il est pour ainsi dire aujourd’hui l’organe vivant et agissant de la pensée italienne, et comme tout se passe très librement à Turin, tout s’y dît aussi très vivement, surtout à l’égard de l’Autriche et de l’indépendance. De là cette situation qui a surgi dernièrement, et qui se reproduira toutes les fois que quelques nouveaux griefs viendront ajouter aux malaises invétérés de la péninsule. À vrai dire, toute la question italienne est là, dans ce voisinage terrible et périlleux de deux états, dont l’un est soumis à la domination étrangère, et dont l’autre est le complice actif, avoué, militant, de tous les sentimens d’indépendance et de libéralisme qui fermentent au-delà des Alpes. Il n’est point douteux que les récentes émotions de la Lombardie ont été particulièrement ressenties en Piémont, et qu’une certaine surexcitation a régné pendant quelques jours à Turin. Est-ce à dire que le Piémont fût disposé à se jeter brusquement et à l’aventure dans une guerre qu’une émotion, même légitime, n’eût pas suffi à expliquer ? A Turin comme partout, il y a certainement des ardeurs impatientes et des velléités agitatrices ; mais ces velléités et ces impatiences lie sont pas une politique. Le roi Victor-Emmanuel est un souverain chevaleresque que la guerre ne surprendra et n’effraiera jamais sans doute ; il ne s’ensuit pas qu’il ait tenu un peu solennellement devant ses soldats rassemblés les discours belliqueux qu’on lui a prêtés. M. de Cavour, avec une habile hardiesse, n’a point hésité à faire pénétrer la politique italienne jusque dans les conseils de la diplomatie européenne ; cela ne signifie pas qu’il soit prêt à se faire le docile serviteur de toutes les illusions et de toutes les ardeurs irréfléchies. Les hommes d’état qui conduisent le Piémont sont convaincus, ce nous semble, que, parmi les questions qui s’agiteront un jour ou l’autre, la question italienne est au premier rang, que là est la faiblesse de l’Europe actuelle, et que dans la crise inévitable, dans la reconstitution nécessaire de la péninsule, leur pays a l’un des premiers rôles. Dans cette situation, le Piémont a tout à gagner à ne rien précipiter, et il n’y a que les ennemis qui puissent le pousser à des entreprises soudaines, car si le Piémont avait le malheur d’éprouver une défaite dans une lutte d’impatience, on sait bien que cette défaite ne profiterait ni aux idées libérales ni à l’indépendance italienne.

Le Piémont a tout à gagner, disons-nous, en ne précipitant rien. Tout vient à lui pendant ce temps ; les questions mûrissent, les instincts libéraux vrais et sensés se fortifient, et les passions révolutionnaires perdent leur crédit. Les autres princes italiens eux-mêmes, par.l’exemple d’un pays qu’aucun danger intérieur ne menace, peuvent voir que les libertés consti-