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certain rationalisme est toujours caché dans la prétention de fonder la foi en dehors de la raison, et son argumentation retombe avec plus de force encore sur le protestantisme. Lorsque les protestans attribuent l’infaillibilité à l’Écriture, ils oublient toujours de démontrer à quelle signification de l’Écriture cette infaillibilité appartient. Croire que la vérité est dans la Bible n’avance à rien, si l’on ne sait quelle vérité est dans la Bible. Or, là où n’existe ni tradition, ni autorité au-dessus de l’erreur, pour la faire connaître, reste l’unique voie par laquelle en toute autre chose les hommes cherchent la vérité. Le rejet du sens de l’Écriture est l’hérésie, soit ; mais quel est ce sens ? Les protestans ne peuvent l’établir que par la discussion. Il n’y a donc pas d’hérésie, si l’on entend par là une erreur dogmatique qui mérite d’être condamnée et punie. Ainsi le christianisme protestant ne peut éviter d’être au fond un rationalisme chrétien. Le verset 20 du quatorzième chapitre de la première aux Corinthiens doit être entendu ainsi : « Mes frères, ne soyez pas des enfans par l’intelligence. En méchanceté, soyez enfans ; mais en intelligence, soyez des hommes faits. » Or la première règle de l’intelligence, quand on l’applique à l’Écriture, c’est de s’abandonner franchement à l’impression que l’Écriture produit. Il ne faut pas en aborder l’étude avec des idées préconçues, comme le calviniste, qui veut y retrouver les élémens d’un credo scolastique ; comme l’anti-supernaturaliste allemand, qui, décidé à éliminer tout miracle, torture le récit pour le réduire aux incidens de la vie commune ; comme l’unitairien même, qui s’est fait un principe de ne rien voir dans l’Écriture qui ne soit rationnel et universel. Il faut au contraire entrer sans résistance dans la pensée de l’auteur sacré, comprendre ce qu’il dit comme il le comprend, et s’identifier avec ses sensations et ses idées. Une fois l’Écriture ainsi interprétée, le rôle de la raison commence. L’intelligence dont parle saint Paul peut apprécier alors en soi ce qui lui est enseigné ou raconté, et pourvu qu’elle ne déclare pas à priori fausse toute idée de révélation et de miracle, elle peut à son tour juger au fond l’interprétation du texte et dégager la vérité même de la pensée personnelle de l’écrivain, car la foi n’exige le sacrifice d’aucune vérité. Il y a par exemple des théologiens qui voudraient proscrire la religion naturelle en faveur de la religion révélée ; l’une au contraire doit concourir avec l’autre. La seconde prend la première comme établie ; elle trouve ses propres fondemens dans les principes de la religion naturelle : elle les comprend tous, étant, à parler exactement, l’assomption des uns et-la confirmation ou l’anticipation des autres, car les miracles mêmes ne seraient pas une preuve de l’existence de Dieu, si cette existence n’était connue d’ailleurs : ils n’attesteraient qu’un