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lignes de l’écriture d’un homme on peut le faire pendre, il n’en faudrait souvent pas plus pour le convaincre de folie. Sir David Brewster a fourni un argument plus décisif à sa cause, quand il a découvert qu’à l’époque de sa prétendue folie, Newton composait ses fameuses lettres à Bentley, où il entreprenait de montrer quelles preuves nouvelles les lois astronomiques qu’il avait découvertes apportaient à l’existence de Dieu. En examinant et comparant les dates avec le plus grand soin, en circonscrivant l’époque de la folie dans, les limites de temps les plus étroites, M. Biot est lui-même obligé de convenir que l’une au moins de ces lettres a été écrite pendant que l’esprit de Newton était encore troublé ; il se tire d’embarras en attaquant les argumens employés par Newton et en s’efforçant d’en montrer la faiblesse : je n’entreprendrai point de les défendre, mais le ton grave de la lettre à Bentley, la suite du raisonnement, la hauteur même du sujet, tout rend bien difficile de croire que l’esprit de Newton fût alors dérangé. Quand il cherchait à démontrer qu’il y a un Dieu, parce que la loi d’attraction universelle, en expliquant la perpétuité du mouvement, n’apprend rien sur l’origine du mouvement même, pouvait-il avoir perdu la raison au point de ne plus comprendre, comme on le lit dans la note d’Huyghens, le grand ouvrage où il avait démontré cette loi ? Aussi bien que Leibnitz, Huyghens était jaloux de la gloire de Newton : il décria ses découvertes en mainte occasion et accueillit sans doute avec un peu trop d’empressement le récit de cette folie, qui ne paraît avoir été qu’une indisposition très passagère, causée par l’excès du travail et, comme Newton l’explique lui-même, par de longues insomnies.

Au reste, si l’on conserve encore quelque doute relativement à cette crise mentale, on a pu du moins acquérir la certitude, et c’est là le point le plus important du débat, que l’esprit de Newton n’a jamais subi un affaiblissement permanent, comme M. Biot le pensait en 1816. M. Biot a plus que tout autre contribué à rectifier cette erreur, en retrouvant dans les correspondances de Newton publiées depuis la trace d’importantes découvertes. Nous savons aujourd’hui, à n’en pas douter, que l’esprit du grand homme a conservé sa force et son activité jusqu’au dernier moment. Il est bien vrai que, dans la correspondance de Newton et de Flamsteed, qui lui fournissait ses précieuses observations, M. Biot constate une interruption de 1692 à 1694, mais dès cette dernière année nous voyons Newton approfondir la difficile théorie des mouvemens de la lune et y découvrir des inégalités d’un ordre très délicat : « nouvelle preuve, dit M. Biot, de cette pénétration incomparable de son génie, qui lui faisait pour ainsi dire pressentir les vérités physiques à travers les obstacles encore insurmontables qui l’en séparaient. » Dans cette même correspondance, M. Biot a fait une très importante