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voir dans la crise signalée par M. Biot l’événement qui avait fait succéder chez Newton la ferveur religieuse à la ferveur scientifique. Sir David Brewster accusa Laplace d’avoir provoqué d’indiscrètes recherches pour éclaircir ce problème délicat ; il attribua de semblables intentions à M. Biot, et prétendit qu’il avait en quelque sorte « excusé Newton d’avoir écrit sur des sujets théologiques, en rapportant cette classe de ses travaux à un esprit usé par l’âge et affaibli par un premier dérangement. » Pour faire sentir combien l’accusation de sir David Brewster était injuste, il suffit de rappeler dans quels termes s’exprimait M. Biot sur les recherches théologiques de Newton. En se demandant comment un esprit si rigoureux avait pu se livrer à de semblables études, il écrivait : « La réponse à cette question nous semble devoir être puisée tout entière dans les idées et les habitudes du siècle où Newton vivait. Non-seulement Newton était religieux, sincèrement chrétien ; mais toute sa vie s’écoula, toutes ses affections se concentrèrent dans un cercle d’hommes, qui, pénétrés des mêmes doctrines, étaient dévoués par état à les propager, ou se consacraient par goût à les défendre. Usant du droit d’examen réclamé par toutes les sectes protestantes, les savans anglais de cette époque prenaient plaisir à mêler aux recherches des sciences les discussions théologiques, et ils se trouvaient d’autant plus portés vers ces dernières, que la cause de la religion protestante était devenue celle de la liberté politique. ». M. Biot cite à cette occasion les écrits théologiques de Boyle, de Wallis, de Barrow, de Winston et de Clarke, les élèves de Newton, enfin de Leibnitz lui-même. Dans sa curieuse notice sur Napier, l’inventeur des logarithmes, il nous montre aussi le baron écossais essayant longtemps avant Newton d’interpréter les prophéties bibliques, et cultivant la théologie en même temps que les mathématiques pendant les rares loisirs que lui laissaient les guerres civiles de son temps.

Si les interprétations de sir David Brewster ne méritent pas une sérieuse réfutation, le fait même auquel elles se rapportent est à coup sûr digne d’examen. Sir David Brewster, pour combattre l’opinion de M. Biot, qui avait adopté sans hésiter le récit fait à Huyghens, a recherché avec grand soin tout ce que Newton a écrit à l’époque de l’accident mentionné par Huyghens dans sa note. Il a publié deux lettres écrites par Newton peu de temps après l’incendie de ses manuscrits ; l’une est adressée à Locke, l’autre à Pepys, secrétaire de l’amirauté : il faut avouer que le biographe anglais n’a pas été heureux dans son choix. Ces lettres ont un ton fort bizarre, et M. Biot vit dans l’étrangeté même du style une preuve nouvelle du dérangement d’esprit de Newton. L’argument, à vrai dire, nous paraît bien forcé, car, ne connaissant pas les circonstances auxquelles ces lettres se rapportent, nous ne pouvons réellement les comprendre ; si avec trois