Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sévères abstractions mathématiques, ou dans les travaux qui ont pour objet l’investigation de la nature. Les vérités scientifiques, découvertes par une analyse de l’esprit, sont d’ordinaire transmises et enseignées sous une forme synthétique, qui fait disparaître en quelque sorte le travail de l’inventeur. C’est ce qui arrive surtout dans les traités mathématiques modernes, d’une texture si solide, si méthodique, où tout est si admirablement condensé. Les besoins de l’enseignement exigent qu’on y rassemble toutes les propositions dans un ordre logique, sans tenir compte de l’ordre historique des découvertes. À peine quelques noms célèbres y paraissent-ils çà et là, attachés par une vieille habitude à des théorèmes fameux : Descartes, d’Alembert, Kepler, Newton. On ne se préoccupe ni des circonstances qui ont amené ces grands hommes à aborder les problèmes qu’ils ont résolus, ni de la manière dont leurs recherches ont été liées entre elles et à celles de leur époque. La rigueur des déductions n’est affaiblie par aucune interruption, par aucun épisode.

L’histoire des sciences physiques et naturelles n’est, pour d’autres motifs, guère mieux connue que celle des mathématiques pures. Dans les sciences physiques les hypothèses sur la matière, dans les sciences naturelles les méthodes de classification, jouent un rôle prépondérant. Aussitôt que ces hypothèses et ces classifications se modifient, la langue est presque changée ; les écrits des anciens deviennent peu à peu incompréhensibles à la majorité des lecteurs. Combien de chimistes lisent aujourd’hui les livres où règne la croyance au phlogistique ? Le plus médiocre traité de physique moderne nous en apprend plus sur les propriétés de la lumière que l’Optique de Newton. Tel est le sort fatal des savans : plus vive est l’impulsion qu’ils donnent à leur temps, plus ils hâtent le moment où leurs ouvrages, quelquefois même leurs noms, doivent tomber dans l’oubli.

S’il n’est pas difficile d’expliquer, par toutes ces raisons, pourquoi l’histoire des sciences est si ignorée, il ne l’est pas plus de montrer que cet abandon est très regrettable. Entrepris par de vrais savans, dans des ouvrages comme celui qui a inspiré cette étude, les travaux d’un tel ordre nous fourniraient, pour l’histoire même de l’esprit humain, les documens les plus précieux. L’origine des langues, des idées métaphysiques et religieuses, demeure enveloppée d’une obscurité que la critique ne pourra jamais entièrement dissiper. Il n’en est pas ainsi des sciences : elles sont pour la plupart le fruit le plus récent du travail de la pensée humaine. Les siècles modernes ont vu fonder ces méthodes précises, auxquelles la chimie, la physique, la médecine, doivent leurs rapides et éclatans progrès.

Qu’un esprit philosophique observe les phases diverses de ce grand mouvement scientifique, il reconnaîtra bientôt qu’en remplissant