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amèneront de même des interventions étrangères ; après s’être libéré du fardeau romain, on devra en subir un autre, et la puissance à laquelle on devra recourir altérera l’indépendance, en supposant que la liberté survive. On voit que le principe de Balbo, l’indépendance avant tout, mis en action, aurait pour meilleur résultat possible, toutes chances favorables admises, de faire perdre d’un côté ce qu’il ferait gagner de l’autre. Cela est si vrai que certains partis, rebelles aux progrès actuels, détournent aujourd’hui la thèse de Balbo à leur profit, et se livrent à d’imprudentes excitations dans l’espoir qu’une collision immédiate anéantira des améliorations qu’ils détestent. Là est le piège que la gloire pure de l’auteur des Speranze ne doit plus couvrir ; ce serait une profanation, et, nous pouvons le dire de ce nom si justement vénéré au-delà des Alpes, un sacrilège. Que suit-il de là ? Qu’il faille abandonner l’œuvre d’indépendanoe ? Certes moins que jamais. Si les Piémontais sont honorés en Europe, c’est qu’ils aiment leurs compatriotes opprimés autant que leurs concitoyens déjà affranchis ; mais cette sympathie doit être sage. Il ne faut pas exposer sans nécessité aux risques d’un embrasement inopportun la semence de liberté qui se développe au pied des Alpes, et qui propage moralement, par la seule vertu de l’exemple, une éducation fraternelle et sensée jusque chez les habitans de l’extrémité des Deux-Siciles.

Telle est la démonstration que complétera la suite de cette étude. En 1848, l’heure d’appliquer l’idée que nous discutons est venue. Le pape a passé aux libéraux, Charles-Albert a proclamé l’indépendance, Balbo est président du conseil des ministres. Que restera-t-il dans dix ans de tout cela ? Rien qu’une chose, presque accessoire alors : une machine de guerre improvisée avant le passage du Tessin, et n’ayant pas d’autre destination, semble-t-il, dans le plan des Speranze. Charles-Albert, — nous ne sortons pas de l’histoire, — vient au conseil avec une feuille de papier sur laquelle il a écrit ces seuls mots : Statut fondamental. Art. 1er. La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’état. Rien de plus. Ces mots indiquent qu’il tient d’abord par cette déclaration à se protéger du côté de Rome. Quant aux articles qui doivent suivre, il en laisse la libre rédaction à la commission ; il a d’avance accepté complètement l’idée constitutionnelle qui doit les inspirer. Ces articles seront plus efficaces que la guerre, et Balbo en conviendra plus tard dans son dernier écrit sur la monarchie représentative en Italie ; ils seront tout l’avenir de l’indépendance, parce qu’ils seront la liberté.


ALBERT BLANC.