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des puissances européennes. Dans ses écrits inédits, le comte Balbo paraît très ému de la prépondérance de l’empire moscovite sur le continent ; il lui reconnaît une importance morale peu proportionnée à ses ressources matérielles, quelque considérables qu’elles soient ; Il dit même quelque part que si la monarchie universelle est réalisable, c’est par la Russie. Cette idée n’est point exprimée dans les Speranze ; mais elle a évidemment inspiré à Balbo son projet de coalition de toutes les puissances contre les héritiers de Pierre le Grand. À notre sens, on peut tirer de l’observation très juste faite par l’auteur des Speranze une conclusion très différente de la sienne et dire : « Au lieu d’arrêter et de combattre cette influence toujours grandissante, il faut l’employer et l’utiliser. » On ne voit pas en définitive quel motif aurait l’Italie de se déclarer contre la Russie plutôt que de s’unir à elle. Le choix entre l’alliance et la guerre doit dépendre des circonstances. Pourvu qu’on brouille la Russie avec l’Autriche, et qu’on prenne part à toute guerre qui s’allumera en Orient, on aura fait assez. Compter sur la bonne volonté que l’Autriche peut montrer à être indemnisée ailleurs de la perte de ses possessions lombard-vénitiennes, c’est s’abuser peut-être. Qu’elle s’étende vers le Danube, nous le voulons bien, si c’est une raison pour qu’elle n’aspire plus au golfe de Gênes ; or cette raison ne nous paraît pas péremptoire. La situation de puissance centrale qu’elle occupe en Europe, situation qui a déterminé sa politique de neutralité, est assez bonne pour qu’elle résiste à l’inorientazione par déplacement, telle que l’entendait César Balbo. Sans préconiser absolument une politique différente de celle des Speranze, et sans nier que le démembrement de l’empire ottoman puisse être une excellente occasion de délivrer l’Italie, nous pensons donc qu’il convient aussi peu au Piémont de se ménager des alliances monstrueuses, comme le serait celle de l’Autriche, que de se déclarer contre un peuple qui n’a ni penchant ni intérêt à se faire l’ennemi des états sardes. Nul doute pour nous que telle ait été au fond la pensée de Balbo, et que son opinion doive s’expliquer par les raisons très bonnes, mais temporaires, qui ont causé la guerre de Crimée, et décidé le Piémont à y participer activement. Il n’y a pas qu’une solution à cette question si compliquée de Constantinople. Or, si l’on y songe bien, parmi les considérations qui ont dû engager Balbo à envisager de préférence une de ces solutions, on peut compter au premier rang l’éternelle, la fatale question romaine. Exclure la Russie du grand concert européen et donner à l’Autriche sa part d’influence, c’était rendre deux services au saint père et le rassurer doublement. Cette combinaison lui assure en effet l’amitié du seul gouvernement qui flatte ses illusions, et de plus elle forme autour de lui une ligne de