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deux brillantes natures : il épie sans cesse le roi, se tient un peu en avant de lui, applaudit à ses moindres velléités de progrès, travaille de toutes ses forces contre des captations audacieuses, le sollicite doucement, avec le zèle mesuré d’un serviteur délicat, se fait le discret interprète de sa pensée cachée, se résigne à des désaveux imposés par la raison d’état, et ne cesse enfin, pendant dix-sept ans de tristesse et de disgrâce apparente, de croire en son roi, sans désespoir et sans lassitude.

Un examen sommaire des travaux publiés par César Balbo durant cette lente et laborieuse incubation de la monarchie représentative en Italie en signalera les périodes successives.

La vie de Dante, avons-nous dit, fut son premier titre à la célébrité. Mêlé, comme Dante, pendant sa jeunesse aux affaires civiles, militaires, diplomatiques, puis exilé, isolé comme lui de l’activité commune de la cité, et réduit, — c’est lui qui le dit, — à écrire pour sa patrie faute de pouvoir combattre pour elle, Balbo semble s’être passionné au récit de cette vie orageuse, et se reconnaître involontairement dans la physionomie que retrace sa plume, rivale du naïf pinceau de Giotto. M. Ricotti, le savant historien de César Balbo, note quelques lignes où la destinée du Florentin semble épousée par le Piémontais, innocemment ambitieux d’une similitude d’infortunes avec le grand poète citoyen. « Dante, dit Balbo, fut gibelin, mais non pas pour autant hérétique, membre de sociétés secrètes, ou transfuge… Il y a une simplicité propre aux natures vraiment élevées, qui fait qu’elles se livrent aux instances et même au premier accueil des hommes, et qu’elles ne s’aperçoivent qu’on les a humiliées que lorsque l’humiliation est accomplie… Les causes du génie et de l’activité de Dante, comme de tant d’autres, furent l’ardeur politique et la passion d’amour, exemple qui doit conduire non pas au libertinage[1] et à la mollesse, mais à une laborieuse grandeur… » Naïves échappées d’une belle âme qui a besoin de se dévoiler, et qui se découvre plus complètement dans quelques considérations sur les guelfes et les gibelins. Balbo est guelfe, en ce qu’il croit que le pouvoir temporel du pape a très heureusement balancé au moyen âge celui de l’empereur, et, voulant l’indépendance à tout prix, il essaie de ressusciter l’ancien antagonisme en concentrant dans le pape la cause nationale. On distingue très bien dans cette tendance le sacrifice provisoire du patriote qui remet la liberté au lendemain de l’expulsion des barbares, parce qu’il croit

  1. C’est une allusion peut-être à un mot de Boccace, qui raconte qu’au milieu des plus grandes qualités trouvait place chez Dante une terribile lussuria ; « mais, ajoutait le malin conteur, Hercule, Jupiter, le roi David, Salomon et Hérode n’étaient pas non plus parfaits de ce côté-là. »