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de Villamarina), elle n’eût pas réussi peut-être à abattre cette âme fière et sensible à l’outrage, et la dignité nationale eût été plus tôt vengée ; mais l’élément redoutable qui vint renforcer cette tactique, et poursuivre le prince catholique jusque dans ses prières de chaque jour, eut raison enfin de ses tentatives de résistance. Charles-Albert était de ces natures faibles qui s’élèvent à l’héroïsme dans le danger et cherchent les entreprises éclatantes, mais qui manquent de ce qu’on pourrait appeler l’énergie domestique. L’antagoniste insaisissable qui vivait côte à côte avec le roi lui fit perdre courage. Atteint de prostration en présence de la coalition intérieure qui le cernait, il eut des affaissemens, des vertiges, des défaillances. Trop dépourvu de résolution pour se dégager de la persécution officieuse où il était enveloppé, il se confia aux hasards de l’avenir. Des médailles qu’il lit frapper alors portent cette devise : « J’attends mon astre. »

Eh bien ! sous cette formidable pression, Charles-Albert reste encore si fidèle aux principes de sa jeunesse, qu’il faut l’admirer autant que le plaindre, et rendre hommage à la pureté de cette conscience si douloureusement troublée. Loin de l’accuser de duplicité ou d’ambition calculée, comme l’ont fait des écrivains qui ne pouvaient avoir connaissance de sa vie intime, il faut lui savoir gré de ce qu’il a tenté de faire, de ce qu’il a fait dans ses rares momens de liberté. Inquiet, perplexe, vivant, — comme il le dit avec amertume au duc d’Aumale, — entre le poignard des carbonari et le chocolat des jésuites, l’infortuné prince n’en travaille pas moins, autant que l’insubordination des employés le lui permet, à l’unité de son royaume ; il groupe plus étroitement les provinces autour de lui en simplifiant l’administration ; il sépare des deniers de l’état ses revenus particuliers, et exige une économie rigoureuse dans sa maison et dans les finances publiques. Il fonde et enrichit des bibliothèques, encourage les arts, reçoit les étrangers illustres qui passent à Turin. Pour éluder les prescriptions de l’étiquette sans froisser quelques nullités chatouilleuses qui se montraient jalouses, faute d’autre illustration historique ou personnelle, du droit d’aller à la cour, il fonde l’ordre du mérite civil, qui y fait admettre ceux que leur défaut de noblesse en eût exclus. D’autres, nobles comme le roi, intelligences exceptionnelles, non-seulement dans cette sotte caste, mais dans l’élite de l’Italie, — Balbo, Provana, Sauli, Benevello, — reçoivent une fois seulement par an une invitation furtive, pour ainsi dire, à la table du roi : ceux-là se tiennent habituellement éloignés de lui à cause de leur libéralisme notoire. Il crée un conseil d’état qu’on ne lui permet d’instituer qu’à moitié ; il organise des conseils provinciaux et municipaux que le pouvoir administratif empêche de se réunir. Il favorise les congrès scientifiques annuels, où, parmi les discussions