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établi l’irrite et l’impatiente singulièrement. Ce qu’il renie, ce n’est pas toujours le motif, le but des sociétés clandestines : « . Les bons, dit-il, acceptent l’idée, mais non la secte ; » c’est contre leur méthode d’action qu’il s’élève avec force. Il l’accuse d’être de toutes la plus contraire à la civilisation. En le prenant au mot dans la colère qu’il montre contre ces associations, on dirait, et son Discorso tout entier donne positivement le droit de dire qu’il leur préfère le soldat révolté, l’étudiant en armes qu’il a vu sabrer en 1821. Il aimerait mieux l’ouvrier, insurgé, avec sa blouse et son fusil, si le Piémont avait des prolétaires. Il se refuse, quant à lui, à toute affiliation ; il se défend, malgré les instances de ses amis, d’entrer dans l’inoffensive société des francs-maçons, dans les carbonari, dans la société catholique ; les sociétés secrètes, religieuses ou non, lui répugnent, et dans les derniers jours de sa carrière, jours de repos bien gagné, il trouve encore dans son cœur bienveillant une animosité acharnée à les poursuivre.

C’est qu’en 1853 les vices de 1831, répudiés par un gouvernement ami de la publicité, se propageaient encore dans deux partis restés hostiles au nouveau régime, l’un par exaltation, l’autre par ignorance ; c’est que Balbo, témoin des manœuvres de Mazzini et de celles d’une partie du clergé, déplorait une opposition qui se traduisait d’une façon aussi pernicieuse. De ces deux dangers, celui qui désolait le plus cet homme de religion et de liberté, ce n’était pas, on le voit clairement dans ses écrits, l’utopie des sectaires enthousiastes de la Jeune-Italie, mais la politique sournoise qui s’abritait sous le manteau de l’église. La cause de cette plaie du catholicisme était d’ailleurs tout entière à ses yeux dans le fait qui domine toute l’histoire de Charles-Albert : l’inspiration exclusive du pape par l’Autriche, la tutelle de Vienne sur Rome.

L’Autriche n’a pu réaliser qu’avec Rome son projet de ligue austro-italienne, conçu sous la restauration. Les deux autres puissances sérieuses de l’Italie n’en veulent pas. Le roi de Naples tient à être maître chez lui, et le roi de Sardaigne n’a plus d’illusions sur la portée de semblables offres. Mais Rome, qu’on tient matériellement par les Légations et moralement par je ne sais quelle aversion contre l’esprit moderne, Rome s’est donnée, et par elle Vienne agit sur Turin. Dès lors Charles-Albert, effrayé de l’obstacle sacré qu’on oppose à ses légitimes tendances, ne peut, n’ose plus rien. Le peuple et lui sont d’accord, mais ils sont paralysés par un veto ecclésiastique dicté par l’empereur. Les jésuites, milice souvent compromettante de la papauté, travaillent à l’œuvre sainte contre la révolution. Charles-Albert les déteste, et César Balbo leur écrit : « Ou vous changerez votre société en devenant des religieux semblables aux autres, ou bien, en demeurant attachés à votre vieille politique,