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d’enfance. Vidua entre en fureur : « Toi, sacrifier notre langue à une langue étrangère ! e la quale ! » En Illyrie, il aime une jeune fille qui ne peut être à lui et qui lui laisse la douce tristesse d’un gracieux souvenir. Ses impressions d’alors sont celles d’un rêveur qui s’apprête à penser. La poésie, faiblesse passagère de son imagination, vit en lui avec les mathématiques, premier amour de son esprit. Heureusement l’Italie sait enfanter à côté de ses paresseux imitateurs de fantômes, comme disait Platon, à côté de ses amans idolâtres de l’idéal, d’âpres et sévères intelligences comme Machiavel, Vico et Volta ; pour que le génie jaillisse d’elle comme la lave de ses volcans, il ne faut que supprimer un obstacle, conquérir l’indépendance. Sitôt que César Balbo ne sera plus un simple petit auditeur de Napoléon, sitôt qu’il aura une patrie, il travaillera trente-neuf ans pour lui donner un évangile, les Speranze d’Italia, et un statut, le livre De la Monarchie représentative.

La chute de l’empire ouvrit là carrière aux projets et aux conjectures des Italiens. Les enseignemens civils et politiques donnés à l’Europe par la propagande guerrière de Napoléon paraissaient acquis sans retour, et l’on pensait que la restauration des princes déchus, sans nuire aux progrès accomplis, ne ferait qu’en approprier les avantages aux nations diverses qui avaient dû payer d’une absorption temporaire leur initiation aux conquêtes de la révolution. Déjà sous l’empire, des jeunes gens comme Balbo, de vieux soldats comme le général Gifflenga, l’un des héros de la retraite de Russie, se disaient qu’après la mort de l’empereur une Italie indépendante pourrait être constituée. On ne pensait pas alors que le géant pût tomber avant de mourir. Le désastre de 1814, en faisant reparaître des individualités territoriales englobées jusqu’alors dans le territoire impérial, remit sur le tapis non-seulement les vieilles questions oubliées, mais de nouveaux problèmes fournis par la présence de combinaisons nouvelles, et au-dessus de tous les autres, celui des nationalités.

Il est intéressant de surprendre dans César Balbo ces préoccupations qui s’emparaient de toutes les têtes. C’est chez tous la première apparition de l’idée italienne, et chez lui le premier cri spontané de la conscience. Longtemps mêlé à une colossale tragédie qui n’avait laissé aucune part d’action à sa personnalité, il se relève indépendant, citoyen et patriote.

« Je ne dirai rien de la grande débâcle de peur d’être trop long. On courait de côté et d’autre, on vivait dans les rues et sur les boulevards ; le plus souvent les Italiens se trouvaient ensemble, s’accostant à tout propos, s’intéressant naturellement et au même degré à ce qui se passait. Un jour plusieurs d’entre nous se réunirent, et cherchèrent quel parti on pouvait prendre pour le bien de l’Italie : il nous était trop pénible de ne rien faire au