Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une tentative faite pour la percer par l’ouest. En 1854, M. R. Austin est parti de Northam, sur la rivière des Cygnes, avec le projet de gagner Shark-Bay et la rivière de Gascogne, sur le vingt-cinquième parallèle. Il n’a pas pu réaliser complètement ce programme ; après une exploration qui a duré de juin à novembre, il a dû s’arrêter cinquante lieues plus au sud et revenir par la rivière Murchison. Partout dans son trajet il avait rencontré des plaines sablonneuses, des lacs salés, des montagnes de médiocre hauteur, puis çà et là, avec quelques maigres filets d’eau douce, un peu de végétation et des prairies.

Telle est donc dans son ensemble la condition présente de l’Australie : des régions centrales arides et désolées, presque inaccessibles, et créées, à ce qu’il semble, pour une éternelle solitude ; dans l’est, des contrées plus heureuses qui commencent à se laisser pénétrer ; enfin partout des rivages fertiles, industrieux, bruyans comme les deux bords de l’Atlantique, et sur lesquels une jeune Amérique paraît grandir.

L’Angleterre aura eu pour destinée de créer des empires. Trop étroite et trop peu féconde pour son peuple industrieux, comme la vieille Phénicie, elle lui a montré la mer ; elle a semé l’Amérique et l’Australie aux deux bouts de l’Océan. À l’époque où les colonies d’Amérique, assez fortes pour vivre seules, se détachaient, l’Inde commençait à devenir pour l’Angleterre un champ nouveau d’industrieuse exploitation. Aujourd’hui c’est l’Australie qui est le but préféré de l’activité anglaise. Si cette nouvelle fille doit, comme son aînée, renier la métropole, il y a dans le Soudan, de Kuka à Sokoto, des régions riches et fertiles qui semblent destinées à devenir à leur tour un des chaînons de cette colonisation sans cesse renaissante. C’est un beau spectacle que celui d’un peuple renouant toujours sa trame et laissant partout sur son passage de grandes nations. La foule, à laquelle il faut des intérêts et des profits pour mobile de son activité, cherche autour d’elle, et s’en va là où elle espère acquérir ; mais avec elle marchent les législateurs et les savans. À côté des intérêts humains, ils font valoir ceux de la science ; à la foule désordonnée ils imposent le frein de la loi ; ils la dirigent vers un but plus élevé que celui qu’elle se proposait, et c’est par cette combinaison des passions intéressées avec les idées généreuses que se développe le bien-être physique, que s’agrandit l’horizon, que s’élève la conscience humaine, et que la race blanche, ainsi armée de tout ce qui constitue la civilisation, fait marcher le monde.


ALFRED JACOBS.