Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute que se trouve la cause principale de l’abjection de ces malheureux et du mépris qu’ils ont pour leurs femmes. Ils n’ont pas la pudeur instinctive de la plupart des autres sauvages : le costume n’est destiné qu’à les protéger ; aussi, entre les tropiques, vont-ils absolument nus. Des plumes ou des branchages sur la tête, de la graisse dans les cheveux, un bâton dans le nez, voilà toute leur parure. Plus au midi, comme il fait plus froid, la dépouille du grand kangurou ou quelques peaux d’espèces plus petites attachées grossièrement ensemble servent à les garantir. Leur industrie consiste dans la fabrication de nattes, de corbeilles et de filets d’écorce. Souvent dans leurs pérégrinations ils couchent à terre ou dans des trous, et c’est seulement lorsqu’ils doivent séjourner quelque temps en un lieu, durant les mois humides et froids de juillet et d’août, qu’ils font bâtir par leurs femmes des huttes ou des tanières d’écorce et de branchages.

Les cérémonies des funérailles varient selon les tribus. En général, quand un de ces hommes a terminé sa misérable existence, ses proches suspendent son cadavre sur un lit de branches, où les oiseaux du ciel en font pendant quelques jours leur pâture, puis on le dépose dans une fosse, la tête tournée du côté de l’occident. D’ailleurs il n’y a pas beaucoup de respect, ni pour les vieillards, ni pour les morts.

Telle est dans sa triste réalité, et d’après les descriptions d’hommes qu’on ne peut soupçonner ni de partialité ni d’exagération, la condition des sauvages de l’Australie. On ne saurait voir sans une émotion douloureuse tant de misère et d’abjection ; on se demande s’il est possible que des races aient été créées pour vivre dans l’abrutissement et s’éteindre dans la misère. Tous les jours, celle-ci recule et diminue ; les Européens lui ont apporté l’eau-de-vie, qui la dévore, des maladies qui tarissent et corrompent la reproduction dans sa source, et les settlers, les squatters chassent ces malheureux avec plus d’acharnement que le kangurou et le chien sauvage. Cependant, au milieu des colons, il y a aussi des hommes généreux qui se sont demandé si telle devait être la conduite de l’homme blanc ; une société de protection s’est formée en faveur des indigènes ; des missions protestantes et une mission catholique se sont mises à l’œuvre. Tout cela n’a pas eu grand succès : le jeune sauvage n’est pas dénué d’intelligence, il s’adoucit et devient même affectueux, mais des bancs de son école il mesure les vastes espaces où sa famille erre en libère ; l’ordre, la régularité, la vie sédentaire lui pèsent ; la civilisation avec tous ses profits ne le touche pas. Espérons néanmoins que la philanthropie anglaise ne se lassera pas dans une lutte de laquelle dépend le salut de plusieurs milliers d’hommes.

À l’exception de sa ceinture de rivages, la terre qui porte ces