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mariés qui avaient laissé femme et enfans dans la métropole ! combien ont abandonné leur jeune épouse peu après le mariage ! On citait une pauvre femme délaissée le lendemain de ses noces ; son mari était monté, sans la prévenir, sur un bâtiment en partance, et on ne l’avait pas revu. L’excuse de ces aventuriers, c’est que, parmi les demoiselles à marier, se glisse plus d’une aventurière. L’introduction des femmes dans la colonie est favorisée autant que possible, et ce ne sont pas les jeunes ladies les plus distinguées par leur éducation et par leur caractère qui viennent en Australie tenter la fortune. On conçoit que, dans de telles conditions et avec l’énorme quantité de boissons spiritueuses qui est consommée à Melbourne et dans les environs, la moralité laisse à désirer.

Melbourne, qui a eu la bonne fortune de devenir la capitale du Victoria parce qu’elle en était à peu près l’unique ville au moment de la séparation, est loin d’être aussi avantageusement située que plusieurs cités nées depuis ce temps. Geelong, à l’extrémité occidentale de la baie de Port-Philip, a des avantages que toute l’industrie humaine ne saurait donner à la capitale : tandis que celle-ci est bâtie dans un fond, sur une rivière étroite et sinueuse, accessible seulement aux bâtimens du plus faible tonnage, Geelong s’étend en amphithéâtre sur une colline peu élevée, au bord d’une large et profonde baie, où pourraient être établis des docks qui ne le céderaient pour les avantages de la position à aucun de ceux qu’offrent les trois royaumes. Cette ville est destinée, de l’avis commun, à devenir le Liverpool de l’Australie. Cependant elle n’est pas la seule qui, née d’hier sur ce sol fécondé par l’or, ait déjà su atteindre à de vastes proportions. Dans le Victoria, il y a des villes que jamais géographe n’a mentionnées, dont les noms frappent pour la première fois nos oreilles, et qui sont plus riches et plus populeuses que des chefs-lieux de comté ou de département. Avec Melbourne, qui compte quatre-vingt-dix mille habitans, et Geelong vingt mille, ce sont Portland, Williamstown, Port-Albert, villes maritimes ; Castlemaine, Sandhurst, Ballarat, Beechworth, centres des principaux districts aurifères. La population entière du Victoria s’élève, d’après le recensement de 1858, à quatre cent quatre-vingt mille habitans ; la population coloniale de toute l’Australie en compte de huit cent soixante à neuf cent mille, ainsi répartis : la Nouvelle-Galles, deux cent soixante-six mille ; l’Australie du sud, cent douze mille, et l’Australie de l’ouest, quinze mille seulement.

Ces autres colonies, bien que fort actives, n’ont ni la turbulence, ni la richesse de leur jeune sœur. Sydney est, par rapport à Melbourne, une ville calme et décente ; elle répudie les excès de sa voisine et la traite avec mépris ; peut-être n’est-elle pas sans lui