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M. Panofka est un homme d’esprit, un artiste d’un vrai mérite, qui aime son art, dont il a fait une étude approfondie. Il a publié, il y a quelques années, une grande méthode de chant, dont nous avons rendu compte, et qui s’est classée depuis parmi les meilleurs ouvrages qui existent dans ce genre. M. Panofka, qui sait la musique comme ne la savent guère la plupart des professeurs de chant, a vu une lacune fâcheuse dans l’enseignement de la musique vocale en France, qui est entre les mains de grossiers croquenotes, comme on dit vulgairement, de maîtres de solfège qui n’ont aucune notion de l’art délicat de préparer, de ménager et de conserver les voix. M. Panofka a pensé judicieusement que, sans rien changer aux bases de l’enseignement populaire de la musique, on pouvait y faire entrer un élément de plus, un élément indispensable dont se préoccupaient si fort les vieilles écoles d’Italie, c’est-à-dire l’émission du son et la souplesse de l’organe qui en est la source. Sans rien exagérer, sans prétendre faire des chanteurs de tous les enfans qui fréquentent les écoles primaires, en restant dans les limites de l’enseignement élémentaire, M. Panofka est persuadé que, puisqu’on fait ouvrir la bouche aux jeunes élèves des deux sexes pour articuler un son, il est possible et même nécessaire de le faire avec méthode et de surveiller la direction de l’organe vocal. Nous sommes entièrement de son avis, qui a été partagé aussi par le comité des études musicales du Conservatoire de Paris. Toute mère de famille qui voudra donner à ses enfans les premières notions de l’art musical, tout chef d’institution qui aura à surveiller des professeurs et à se rendre compte de leur habileté en ces matières délicates pourra se servir avec utilité de l’Abécédaire vocal.

Nous l’avons dit et nous ne craignons pas de le répéter, l’art de chanter proprement dit repose tout entier sur certaines règles qu’il est nécessaire d’appliquer immédiatement à l’enfant qui commence l’étude de la musique vocale. Tout maître de solfège qui ne se préoccupe pas de la bonne émission du son, de la facilité de la respiration, de la tenue et de la pose de la voix, est un homme qui ne remplit pas les conditions les plus importantes de l’art qu’il professe. C’est des premières leçons de chant ou de solfège que dépend très souvent l’avenir de l’élève qui les reçoit. Lorsque l’organe vocal a été bien préparé, bien ménagé par le maître qui a donné les premières notions, on peut en espérer les plus grands effets sans craindre d’en briser les ressorts. Nous avons eu récemment un exemple frappant de ce que peut une bonne éducation vocale. Au dernier concert du Conservatoire, une jeune personne de seize ans, Mlle  Dorus, fille du célèbre virtuose sur la flûte, a chanté avec une pureté et une sûreté admirables une des parties les plus difficiles de la Création d’Haydn, la partie de l’ange Gabriel. Assurément Mlle  Dorus n’est pas encore une cantatrice dont il faille louer le style, qui n’est pas complètement formé, ni l’expression, qui viendra sans doute avec les années et l’expérience de la vie ; mais elle a prouvé, en exécutant les choses les plus scabreuses avec assurance et simplicité, combien il importe de commencer l’étude de l’art de chanter sous la direction d’un bon maître. Pour obtenir de semblables résultats, nous ne saurions trop recommander l’Abécédaire de M. Panofka. p. scudo.


V. de Mars.