Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/1005

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’ordre moral. De ce côté du Tessin existe la liberté, de l’autre l’esclavage ; ici on fait tout pour relever l’indépendance de notre nation, là tout pour l’opprimer : voilà la véritable provocation qui ne se peut éteindre. » Mais cette provocation morale est toute à l’avantage du Piémont, elle est menaçante et ruineuse pour l’Autriche ; l’Autriche ne peut pas la réprimer, car pour la réprimer il faudrait qu’elle attentât à l’indépendance du Piémont, ce qui soulèverait contre elle l’opinion et les forces de l’Europe entière. Cette provocation morale, par la paix et par le jeu de ses institutions libérales, que la paix seule lui garantit, le Piémont la maintient et la fortifie, et c’est en y persistant que le Piémont doit finir par lasser et user la domination autrichienne en Lombardie, par contraindre l’Autriche à abandonner cette domination, et à rendre à elles-mêmes ses provinces italiennes. La paix et l’attitude défensive, voilà la politique nécessaire du Piémont tant qu’il voudra passer aux j^eux de l’Europe pour le représentant désintéressé de la cause de l’Italie. Un autre avantage de la politique défensive pour le Piémont, c’est qu’elle ne lui impose ni charges financières, ni charges militaires. L’opinion de l’Europe, l’alliance des grandes puissances, le protègent assez contre les agressions de sa redoutable voisine. 11 semblait enfin que le lien plus intime par lequel le Piémont vient de s’unir à la France devait lui épargner les frais d’une armée qui dépasse ses ressources. M. de Gavour en a pensé autrement : il a pris prétexte des renforts récemment envoyés en Italie par l’Autriche pour augmenter les arméniens de la Sardaigne et pour faire un emprunt. Le prétexte ne trompe personne, car il est évident pour tout le monde que l’Autriche ne médite aucune attaque contre la Sardaigne. Au lieu de profiter simplement du désavantage de la situation de l’Autriche, qui oblige cette puissance à s’épuiser en armemens, M. de Cavour semble vouloir rivaliser avec l’Autriche même en dépenses et en préparatifs. Faut-il voir dans cette prodigalité piémontaise une provocation nouvelle ? JNous n’irons pas jusque-là, et en tout cas ce serait une de ces provocations que l’Autriche est obligée de subir en silence ; elle ne lui donnera, nous en sommes sûrs, pas plus la tentation qu’elle ne lui fournirait une raison légitime de prendre l’initiative et la responsabilité de l’attaque.

Quoi qu’il en soit, la politique piémontaise, avec l’homme d’état éminent et persévérant qui l’a conçue et qui la dirige, a obtenu aujourd’hui un succès assez glorieux pour qu’elle ait le droit, ce nous semble, de se reposer un moment et la complaisance de laisser reprendre haleine à l’Europe surprise. M. le comte de Cavour voulait, il y a trois ans, que la question italienne fut posée en Europe : on voit s’il a réussi, et pour notre part nous applaudirons cordialement à cet éclatant triomphe, si M. de Cavour n’en brusque point les résultats en les jouant sur les chances d’une guerre intempestive et peu populaire parmi les nations qui sont les alliées naturelles du Piémont. M. de Cavour, disons-nous, est parvenu au but patriotique et hardi qu’il s’était assigné. Non-seulement en effet la question italienne est posée, mais les gouvernemens et l’opinion sentent qu’elle doit recevoir dans un terme prochain une solution quelconque, ou tout au moins un commencement de solution. Déjà cette nécessité d’une solution a donné naissance à divers systèmes qui, suivant nous, peuvent se ramener à deux : le système des