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Giuramento, de Mercadante, qui était promis depuis longtemps au public parisien, a été donné le 22 novembre avec un succès dont nous allons apprécier la valeur.

C’est à Milan, pour le théâtre de la Scala, que M. Mercadante a composé il Giuramento sur la fin de l’année 1837. Le libretto de Gaetano Rossi est tiré d’Angelo, tyran de Padoue, de M. Victor Hugo ; mais il ne reste à peu près rien de la conception du poète français dans le canevas inintelligible qui a servi de thème au compositeur italien. La fable peut se résumer dans les termes suivans. Manfredo, comte de Syracuse, aime éperdument une femme, Éloïsa, qui ne lui appartient ni par droit de conquête, ni par droit de naissance. Manfredo est marié, et sa femme, Bianca, qu’il tient éloignée de lui, n’a pas le don de lui plaire; mais ces deux femmes, Éloïsa et Bianca, qui se sont connues jadis, aiment toutes deux l’heureux Viscardo, qui, ne pouvant partager son affection en deux portions égales, préfère Bianca à la belle Éloïsa. Cette préférence de Viscardo provoque une jalousie atroce chez Éloïsa, qui veut se défaire de sa rivale par le poison. En retrouvant dans sa rivale Bianca une amie qui autrefois a sauvé son père de la mort, Éloïsa hésite d’abord ; puis elle change le breuvage mortel en un narcotique, et meurt poignardée par Viscardo, qui ne reconnaît que trop tard le cœur généreux de la femme qu’il vient d’immoler. Transportez cette donnée en Sicile, mêlez-y un traître qui s’appelle Brunoro, des hommes d’armes, une menace de guerre de la ville d’Agrigente contre Syracuse, ce qui donne lieu à un finale dont on avait besoin, et vous avez une de ces pièces absurdes comme il y en a tant en Italie, sans que ce soit toujours la faute du pauvre poeta. Il faut connaître les rigueurs de la censure sous tous les gouvernemens de la péninsule pour avoir une idée de la bêtise humaine et des obstacles qui pèsent sur l’imagination des hommes de talent.

Le nom de Mercadante est connu en France depuis longtemps. Né dans un village de la Pouille en 1798, il fit ses premières études musicales au collège de Saint-Sébastien de Naples. Chassé de cette école par le directeur, Zingarelli, qui le surprit un jour copiant de sa main, pour les mettre en partition, des quatuors de Mozart, grand crime pour ce vieux maître, qui était resté fidèle à la tradition exclusive de l’école italienne, Mercadante dut chercher fortune auprès du public, qui en Italie est toujours favorable aux nouveau-venus. La conduite de Zingarelli à l’égard du jeune Mercadante rappelle la sévérité de Cherubini, directeur du Conservatoire de Paris, qui ne voulait pas permettre que les élèves de contre-point étudiassent les fugues de Sébastien Bach, qu’il traitait de barbaro Tedesco ! Le premier succès de Mercadante fut obtenu au théâtre de Saint-Charles en 1818 par un opéra, l’Apoteosi d’Ercole, qui le fit connaître avantageusement des impresarii. Il parcourut successivement les principales villes d’Italie. C’est à Milan, en 1822, que Mercadante écrivit son meilleur ouvrage, Elisa e Claudio, qui lui valut une réputation européenne. Les Napolitains essayèrent même pendant un instant d’opposer Mercadante, qui appartenait à leur école, à Rossini, le Romagnol, comme ils l’appelaient. Cette plaisanterie ne fut pas heureusement de longue durée. En 1824, Mercadante alla à Vienne diriger la mise en scène d’Elisa e Claudio; puis il se rendit en Espagne, à Madrid d’abord, et à Cadix, où il est resté jusqu’en 1830. Mercadante fut nommé maître de chapelle