Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous n’en sommes encore qu’au discours de la reine et aux vérifications de pouvoirs, et le service télégraphique de Madrid s’est permis seul jusqu’à présent une incartade, en annonçant comme une défaite une victoire remportée par le ministère au sénat. Si nous ne nous sommes point occupés encore de la Belgique depuis l’ouverture des chambres, c’est que le ministère de M. Rogier semble vouloir éluder toutes les questions politiques et ajourner les réformes importantes. C’est du moins ce qu’il était permis de conjecturer, si l’on avait cherché le programme de la session dans le discours du trône. M. Rogier et ses collègues ont-ils tort ou ont-ils raison de persévérer dans ce système d’inaction et d’effacement qu’ils ont pratiqué jusqu’à ce jour ? Nous n’oserions nous prononcer, quoique nous connaissions beaucoup de libéraux en Belgique qui blâment avec vivacité l’inertie du ministère. Nous-mêmes, nous ne croyons point que l’immobilité soit une bonne tactique dans les gouvernemens représentatifs, et nous conseillerions plus de résolution et d’audace à M. Rogier, s’il a, comme nous le pensons, l’entière liberté de ses mouvemens. La chambre des représentans paraît être de notre opinion, car sa réponse au discours du trône contrastait par sa franchise avec cet incolore document. La discussion du projet d’adresse a donné lieu à un incident suscité par une puérile tactique du parti catholique. L’adresse, comme le discours royal, parlait de la révision de la législation sur les établissemens de bienfaisance, cette question si maladroitement conduite par le dernier cabinet catholique, et qui amena sa chute au milieu d’une agitation publique extraordinaire. La discussion était à peine ouverte, que le chef du parti clérical, M. de Theux, déclarait que « l’adresse était un acte de provocation, offensant pour la minorité, et que celle-ci croirait manquer à sa dignité, si elle prenait part au débat. » Cette sortie excita une surprise générale. On ne s’attendait pas à voir la minorité déserter ainsi la discussion. On avait plus d’estime pour un parti qui compte dans son sein des hommes d’un talent incontesté, et qui ont rempli une place si grande et souvent si honorable dans la jeune histoire de la Belgique. La surprise redoubla lorsqu’on entendit M. de Decker, le chef du cabinet catholique qui fut renversé le 10 décembre 1857, s’écrier, tout en blâmant l’adresse, qu’il désapprouvait la désertion de la droite, et qu’il était resté étranger aux délibérations où avait été prise cette résolution bizarre. Au fait, la plupart des membres de la minorité avaient été tenus dans l’ignorance du projet de leurs chefs. MM. de Theux, de Mulenaere et Malou, membres de l’association conservatrice fondée, il y a un an, pour résister aux libéraux, avaient préparé ce coup de théâtre sans en prévenir leurs amis, qui obéirent à regret, mais obéirent par discipline, au signal de déroute donné par leurs chefs. Les fuites de cette sorte ont toujours porté malheur aux partis qui ont cru les accomplir comme d’habiles manœuvres. C’est ce que l’on a appelé dans l’histoire parlementaire de l’Angleterre des sécessions. L’illustre Fox fit une sécession pareille après ses grandes luttes avec Pitt du temps de la révolution française. Il croyait réveiller le public par cette retraite théâtrale ; il ne réussit qu’à précipiter et à aggraver la dissolution de son parti. Si nous avons fait allusion à cette fausse manœuvre du parti catholique belge, ou plutôt de M. de Theux et de M. Malou, c’est qu’il nous paraît étrange, dans un temps comme le nôtre, de voir des hommes qui jouissent de la liberté