Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Les deux sexes ont chez nous longtemps quelque peu de sécheresse. Nos enfans sont précoces, de sang ardent et aduste. On ne naît pas jeune en France, mais on le devient. La Française embellit étonnamment par le mariage, tandis que la vierge du Nord y perd et souvent se fane. On risque bien peu ici en épousant une laide ; elle n’est telle le plus souvent que faute d’amour. Aimée, elle va être tout autre, on ne la reconnaîtra plus.

«Vont-elles bien à leur but (par leurs variations de toilette)? Je ne le crois pas. Les impressions du cœur sont plutôt troublées qu’affermies par ce changement continuel. On serait tenté de leur dire : « Ma chère, ne varie pas si vite. Pourquoi forcer mon cœur fidèle à une permanente infidélité? Hier tu étais si jolie! J’avais commencé à me prendre à cette ravissante femme. Et aujourd’hui où est-elle? Déjà disparue... Ah! je la regrette. Rends-la-moi. Ne me force pas d’aimer tant le changement. »

« La toilette est un grand symbole. Il y faut de la nouveauté, mais non brusque, jamais surtout une nouveauté complète qui désoriente l’amour. L’accessoire varie avec grâce et suffit pour tout changer. Une fleur de plus ou de moins, un ruban, une dentelle, peu ou rien, souvent nous enchante, et l’ensemble est transfiguré. Ce changement va au cœur et dit sans parler : Toujours autre et toujours fidèle. »

« Un mot d’une comédie qu’on croirait léger me paraît mériter attention :

« LA DAME. — Vraiment, ton maître m’aimerait-il?

« LE VALET. — Ah! madame, il a juré qu’autant vous renouvellerez d’attraits, il renouvellera d’amour!

« Mais la dame pouvait répondre : Pourquoi pas? s’il est fidèle, non pas fidèle comme un sot, d’une constance monotone, mais d’un amour inventif, insatiablement avide de mieux sentir la femme aimée? Celle-ci, riche comme la mer, prodigue comme la machine électrique en étincelles, peut dépasser son attente. En elle est la brûlante Iris des grâces de la passion, des désirs qui embellissent, ou des refus qui attirent. Quelles limites a sa puissance ? Nulles que celles de la nature; elle est la nature elle-même. »


Je m’arrête, ma récolte grossirait outre mesure; il faudrait citer la moitié du volume. Cette richesse lyrique continue à déborder pendant quatre cents pages, et il faut vraiment du courage pour n’être pas vaincu, subjugué, et pour réveiller en soi la réflexion et l’esprit critique.

Le livre se compose de trois parties bien distinctes, réunies entre elles par une idée extrêmement fine et judicieuse, la puissance de métamorphose de l’amour, d’abord brûlant et aveugle dans les débuts du mariage, puis refroidi ou plutôt transformé par la maternité, puis enfin austère, grave dans la vieillesse, et comme marqué d’un caractère d’éternité. « Si l’amour, dit justement l’auteur au commencement de son livre, est une crise, on peut appeler la Loire une inondation. » Non, l’amour se transforme avec chaque période de la vie; il a ses momens d’allanguissement, ses partages, ses recrudescences, mais il n’est pas le privilège d’un âge favorisé. De