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Luther voyait le diable rôder sans cesse autour de lui, et il prenait en conséquence toutes ses précautions contre cet ennemi redoutable. Le catholicisme erre autour de M. Michelet, mais il l’ignore, et il n’a pas pris ses précautions. Il y a trop de casuistique dans son livre, trop de confessionnal. Son mari est beaucoup trop un directeur de conscience: son ménage me paraît avoir je ne sais quelle ressemblance avec la fameuse république du Paraguay, et son idéal du mariage me paraît proche parent de l’idéal politique rêvé par l’église : un doux esclavage obtenu par une sollicitude rusée et une tendresse habile. La liberté de l’âme n’y apparaît pas : omission grave pour un libéral! Tant de tendresse est énervant pour l’être qui en est l’objet. M. Michelet croit-il qu’il soit bien glorieux de régner sur une âme emmaillottée de caresses et énervée de douceurs? L’amour n’est grand que lorsqu’il est volontaire, il n’est intéressant que lorsque deux âmes à la fois unies et indépendantes se dressent en face l’une de l’autre, fières, libres, loyales, assez courageuses pour ne rien craindre de l’exercice de la liberté, assez altières pour repousser comme une injure toute sollicitude trop inquiète, assez réservées pour respecter le sanctuaire de la conscience. Cet amour conjugal est peu commun, je l’accorde; mais c’est le seul qui me paraisse digne d’intérêt, et en tout cas c’est le seul qui ait le mérite de n’être pas casuistique.

Et maintenant j’ai fini mes critiques; elles m’ont coûté, je l’avoue, envers un homme dont j’estime la sincérité et dont j’aime le merveilleux talent. J’aurais été heureux de penser comme lui sur un sujet aussi important que le sujet du mariage : je ne pense qu’à demi comme lui, et j’ai dû le dire sans réserve; mais si dans l’expression de mes sentimens il se rencontrait par hasard quelque note qui lui parût trop vive, je le prie publiquement de m’excuser et de m’absoudre. Rien n’était plus loin de ma pensée que les intentions blessantes, et je regarde comme une des premières règles de conduite du critique de mesurer son langage sur la valeur morale, le talent et l’éducation des hommes dont il parle.

Ce livre, ai-je dit, semble écrit par trois hommes différens : un médecin, un confesseur et un poète. J’ai parlé du médecin et du confesseur, et je n’ai encore rien dit du poète. Oh! le poète, il est comme toujours merveilleux, irrésistible, abondant en riches images, en couleurs éclatantes, en harmonies d’une suavité pénétrante qui trouble l’âme et fait rêver. Vous pouvez vous incliner sans crainte au bord de ce torrent lyrique, qui, semblable aux fleuves d’Amérique, roule de l’or dans ses eaux : vous ferez facilement une riche récolte du précieux métal. Tenez, j’ouvre le livre, et je prends çà et là, au hasard, images, pensées, sentimens :