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répondrait volontiers M. Michelet; elle est illimitée comme les ressources de l’amour. En conséquence, il n’est pas de moyens subtils qu’il n’indique pour tout expliquer, tout prévenir, tout éviter. Il nomme les personnes qu’il faut éloigner à tout prix, et elles sont nombreuses; il augmente les charges du mari de celles de femme de chambre, de confesseur et de médecin; il organise autour de la femme aimée un système ingénieux de bienveillante surveillance. Qu’il nous permette de lui dire que le mari idéal qu’il nous présente nous paraît un peu trop tatillon, comme disent certaines dames. La casuistique a du bon, et peut être poussée très loin, mais elle doit s’arrêter au moment où elle risque de dégénérer en faiblesse ou en puérilité. Il est permis et même il est ordonné à l’homme de tout comprendre; mais il y a exception absolue pour les choses qui peuvent blesser son orgueil. Tout ce qui porte atteinte à cette vertu, la plus haute qu’il y ait en l’homme, doit être évitée comme poison. « Lorsque la pauvreté ou le malheur a frappé un homme, disaient les anciens, il n’est plus que l’ombre de lui-même, » parole très vraie, si l’homme a perdu l’orgueil, mais fausse, s’il l’a conservé. L’homme qui a laissé fléchir son orgueil est tombé au-dessous de lui-même; il est affligé d’un mal pire que la pauvreté ou le malheur, d’un mal irrémédiable et inguérissable, la lâcheté. On peut donc tout accorder à l’amour, tout, excepté de blesser ou d’amoindrir l’orgueil viril. Or la casuistique de M. Michelet ne me semble pas tenir assez compte de cette vertu hautaine qui est tout l’homme, et qui doit être préservée à tout prix. Ses conseils certainement sont d’une âme non moins ferme que tendre; mais, libéralement interprétés par une âme faible et maladroite. Dieu sait à quels énervemens et à quelles concessions ils pourraient mener. En tout cas, je puis affirmer à M. Michelet qu’il y a deux classes de lecteurs qui repousseront ses conseils : les hommes blasés par la vie et les jeunes gens très naïfs; les hommes blasés, parce qu’à défaut d’orgueil ils ont du mépris, et que tant de stratagèmes leur paraîtraient une peine inutile; les jeunes gens naïfs, parce qu’ils ont l’orgueil de la sincérité, et qu’ils ne voudraient à aucun prix d’une sécurité achetée par une tendresse si tortueuse. Et cependant c’est surtout pour ces deux classes de lecteurs que M. Michelet a écrit son livre.

S’il est une passion universelle, c’est bien l’amour; il ne s’arrête pas à telle classe, à telle catégorie sociale. M. Michelet le proclame lui-même très justement le grand maître en égalité, et pourtant le livre s’adresse à un public très restreint, au public qui réunit toutes les conditions de sécurité, de fortune, de liberté. L’auteur l’avoue en termes qui méritent d’être répétés : « Je n’écris pas pour les riches, qui compliquent à plaisir leur vie de mille inutilités en-