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compromis par ses folies de jeune homme l’honneur du presbytère, que le bon curé était bien en droit de le traiter sans aucune indulgence. Ses paroles n’en froissèrent pas moins Thérèse, qui, par une de ces inconséquences si logiques du cœur, n’hésita pas à prendre la défense de celui qu’elle-même avait condamné, quoiqu’avec moins de rigueur, quelques instans auparavant.

— Tenez, monsieur le curé, dit-elle en feignant de ne pas trop prendre la chose à cœur, vous allez me trouver bien hardie; mais, ma foi, tant pis! Pourquoi aussi m’avez-vous toujours laissée vous dire tout ce qui me passe par la tête? Sauf votre respect, vous me semblez bien dur pour ce pauvre Ferréol. Il est dans le mal présentement, c’est bien certain; mais ne peut-il pas s’amender? Il a toujours eu si bon cœur! Ne vous rappelez-vous pas comme tout le monde l’aimait dans le village? C’est qu’il était si obligeant, si bon ! dans les momens de presse pour la moisson ou pour les foins, on n’avait qu’à lui dire : Ferréol, nous avons besoin d’un coup de main, et il était tout de suite prêt; il se serait mis en quatre pour aider les gens. Quand le feu a pris chez Jean-Louis Pasquier, personne n’osait entrer dans l’écurie à cause de la flamme et de la fumée; il y est entré, lui, et il a sauvé le bétail. Et le jour où le petit Tony est tombé dans l’Ain en voulant prendre un nid sous les racines d’un saule! Tous ceux qui étaient là disaient à Bonguyot : Sauve-le donc, toi qui es le meilleur nageur du pays; mais Bonguyot n’a pas osé. La rivière était si forte ce jour-là ! Elle roulait des quartiers de roche. Ferréol n’avait que dix-sept ans; c’est lui cependant qui s’est jeté à l’eau...

— Peut-être, dit le curé sévèrement, peut-être eût-il mieux valu qu’il ne sauvât pas Tony. Ton frère était sage alors; ce serait un ange dans le paradis, et il ne serait pas devenu ce qu’il est, car tu as beau le cacher, Thérèse : depuis deux jours qu’il est parti, il est avec Ferréol; il fait la contrebande.

Thérèse aimait tendrement son frère, vif et espiègle garçon de treize à quatorze ans, et, quoiqu’elle n’en eût rien dit à l’abbé Nicod, elle était bien plus attristée encore du départ de l’enfant que de l’entretien qu’elle avait eu avec sa mère au sujet de Ferréol. Froissée une seconde fois dans ses affections les plus vives, elle ne se contint plus, et sans s’inquiéter de se contredire ou non, elle se mit à défendre la contrebande ou du moins à chercher à l’excuser de son mieux.

— Si Tony est avec Ferréol, je n’en sais rien, répondit-elle sans dissimuler cette fois son dépit : il est parti avant-hier sans dire où il allait; mais quand bien même encore il ferait la contrebande, serait-il le premier dans le pays? Voilà M. Groslambert qui a gagné de